Tandis qu’un vent glacial s’empare peu à peu du territoire de l’Empire, le comte et la comtesse d’Hevring accueillent leur premier enfant. Étrangement, ce ne sont pas des cris de détresse, de vifs pleurs classiques d’un nouveau-né qui accompagnent sa venue au monde ; ce silence inusité les inquiète. Dans les bras de sa mère, il gigote, baille à s’en décrocher la mâchoire, ouvre momentanément ses paupières pour venir plonger son regard dans celui de sa génitrice, perplexe et désorienté. Aussi vite qu’il se saisit de son pouce, le voici replongé dans un profond sommeil réparateur, après une telle succession d’émotions fortes ; bien qu’il ne laisse, encore une fois, transparaître absolument aucune difficulté à regagner les bras de la Très-Haute. Soucieux, mais submergés d’euphorie, l’homme vient déposer un tendre baiser sur le front de son épouse, éreintée. La Lune du Loup Rouge se dresse fièrement dans le ciel ; les canidés sauvages font leur retour annuel, et la chasse va reprendre. Peut-être leur fils se révélera-t-il doué un arc à la main, à l’adresse remarquable, parcourant d’épais bois sur les talons d’un animal assoiffé de sang ; ou bien un manieur d’épée exceptionnel, imperturbable durant ses besognes ?

Des années passent, et la réalité ne rencontre pas leurs attentes ; la déception se tient bien loin d’eux cependant. Un enfant béni d’une vivacité d’esprit et d’une curiosité inexhaustible peut tout autant se démarquer de ses pairs travaillant leur corps. Linhardt semble absorbé par les mots, dévore les ouvrages de la bibliothèque personnelle des von Hevring —si tant est qu’il comprenne même ce qu’il lit maladroitement. Un bruit sourd alerte ses parents ; le garçon a encore tenté d’escalader le meuble en prenant appui sur les cases alors comblées. Le voici, gisant au sol, un bouquin posé sur la tête. Un long soupir lui échappe ; plus de peur que de mal. Les contes pour enfant ne lui suffisent plus : ce sont les histoires d’emblèmes et de la genèse de son pays ornées de curieux schémas dans lesquels il souhaite se plonger.

La langue bien pendue, lorsque Linhardt gagne la parole, il développe une faculté épatante à taper sur les nerfs de ses parents. Ainsi, un beau jour, le comte, contrarié par une énième remarque acerbe —d’un si jeune enfant !—, décide de lui présenter une éducation un poil plus stricte ; lors d’une réunion ministérielle à Enbarr, il embarque son fils et compte bien faire bon usage de la prestance de son collègue des affaires militaires ! Impassible toutefois, Linhardt n’est manifestement pas ému par la puissance de l’Empire, et ce sont plutôt les rires francs des deux ministres réunis qui lui passent l’envie de remettre les pieds ici ; mais si Enbarr devient synonyme d’ennui et de discussions absconses entre adultes, c’est aussi là-bas qu’il y fait la rencontre d’un garçon de son âge, pile électrique, vraisemblablement tout autant disposé que lui à commettre mille facéties : Caspar. De prime à bord, rien ne les rassemble. Il court trop, il parle fort, il agite imprudemment de petits bouts de bois, veut faire la guerre. Linhardt peine à le suivre, n’a pas franchement l’envie de lui taper dessus avec une arme factice, mais il s’y prend. Il est rigolo, quand même. Jouer à cache-cache, s’endormir dans un placard, être réveillé par le vacarme assourdissant des pleurs du petit homme à la chevelure bleue, clamant à qui voulait bien déchiffrer ses balbutiements qu’il avait perdu son copain, quelque part. Ils se complètent, se lient d’une amitié touchante. Linhardt l’aime bien ; sa présence l’amuse. Ingénuité, ils créent de forts souvenirs, s’apprécient de plus en plus au fil du temps ; peut-être la raison de leur capacité à se supporter mutuellement, contre toute attente, car personne n’aurait pensé que Linhardt pourrait s’extirper passagèrement de sa torpeur ordinaire à ses côtés. Il souhaite partager ce qu’il aime avec son nouveau copain, lui prête des livres, lui montre des dessins un peu particuliers qu’il ne comprend pas lui-même dans des manuels piqués sur une étagère. Malheureusement éloignés géographiquement, ils seront néanmoins amenés à se revoir ; ce n’est pas tous les jours qu’on se trouve un meilleur ami. Il est alors âgé de six ans.

Linhardt grandit, il est maintenant adolescent. Chez lui, les affaires de son père l’ennuient ; la politique le répugne. L’hypocrisie des nobles aussi. Il critique sans arrêt le père de Caspar, mais parallèlement peut aussi se perdre en discours dithyrambiques à son égard. Le fils unique von Hevring en est certain : il ne veut pas reprendre la direction de sa maison lorsqu’il sera en âge. Mais peut-il seulement décider aussi vulgairement de ce qui l’attend ? Ses parents ne l’entendraient pas, et puis ceux-ci n’ont pas éprouvé le désir de procréer davantage, cela ne lui laisse donc pas vraiment le choix. Linhardt est têtu malgré tout ; c’est hors de question, et fatigant d’y songer, alors que son intérêt pour l’histoire a crû, s’est mué progressivement en amour profond pour l’emblémancie. En plus, lui aussi en a une. Futile de se focaliser sur ce qui est fâcheux, quand dormir est aussi simple et délestant.

Noble, malin et compétent, son père ministre, Linhardt est propulsé à Garreg Mach, contre son gré certains ont pensé, mais c’est aussi un savoir incommensurable qu’on lui offre soudainement. C’est une aubaine, une parfaite opportunité pour mener ses propres recherches ; non sans son bagage de contraintes malheureusement. Là-bas, il retrouve son ami, mais aussi une multitude d’enfants de milieux divers. Linhardt s’en contrefiche. À ses yeux, chacun est sur pied d’égalité en termes de capabilité. Cela ne sert à rien de prôner les exploits de ses ancêtres ou de vanter son rang. Quelques individus piquent son attention ; il les observe, les étudie de loin. Ses années à l’académie s’annoncent plus enrichissantes qu’il ne le pense. Certains membres de cette école ne sont pas qui ils laissent entendre… Et il n’hésitera pas à consulter l’emblémancien de l’établissement ainsi que ses recherches.

Le sang le dégoûte, il refuse de se trouver dans la mêlée. Naturellement, Linhardt se tourne —sous la pression— vers la magie curative. Le corps humain regorge de secrets ; d’autant plus s’il détient un emblème… Quelques sortilèges offensifs lui sont enseignés, ses professeurs essaient de lui inculquer des notions de combat rapproché, mais cela n’y fait pas grand-chose. En cours théoriques, il est toujours avachi ; les filets de bave le trahissent. Ses résultats suivent, frôlent l’excellence, c’est à n'y rien comprendre.

Des événements mystérieux et inattendus secouent le monastère. Un certain empereur des Flammes sème la zizanie ; des disparitions sont déplorées, le célèbre mercenaire Jeralt trouve la mort alors que des élèves de l’académie sont sauvés des griffes d’un groupuscule dangereux. Des transformations en bêtes sanguinaires sont reportées. Un nombre important de questions se précipite dans le crâne de Linhardt ; il est évident que des expériences sont effectuées à l’aide d’emblèmes, mais où, et par qui ? De quelle manière ? Pourquoi maintenant ? Lorsque les Aigles de Jais sont autorisés à pénétrer dans le tombeau sacré de la Déesse, il est stupéfait : un savoir ancestral, maintenu à l’écart de tous, sous le monastère ? Des gemmes emblématiques ; qu’est-ce donc, sinon d’inestimables objets d’études ? Linhardt se jure de s’y faufiler à nouveau dans le futur afin d’y jeter de plus amples coups d’œil ; l’Église cache bien son jeu, mais rien ne lui résistera. Ces fameuses pierres recélant d’énigmatiques pouvoirs sont récupérées à l’issue de féroces affrontements. L’identité de l’instigateur, ou plutôt instigatrice, de ces entreprises macabres est révélé au grand jour, Edelgard von Hresvelg. Bien que cette dernière n’ait partagé les détails de son passé avec Linhardt, celui-ci n’ignore pas, ou plutôt suggère, certains aspects singuliers en son for.

Pourquoi s’épuiser à combattre la nouvelle impératrice ? Il sait pertinemment que ce ne serait que vaine tentative de la faire tomber. Bien évidemment non sans un soupçon d’intérêt personnel, l’héritier von Hevring songe à se ranger à ses côtés. Si l’Église s’est permise de faire disparaître une source si conséquente de connaissances, elle n’aura sans doute aucun scrupule à poursuivre ses cachotteries. Linhardt s’interroge cependant, compte tenu de la feue alliance d’Edelgard avec ces obscurs personnages. Il ignore leur identité, leur manière de procéder l’interpelle, mais ces hommes semblent savoir mettre à profit les emblèmes, d’une manière qui l’intrigue ; car il ne comprend pas, et ne pas comprendre, c’est à peu près illégal à ses yeux. La leader des Aigles de Jais tient à s’entretenir avec lui, et lui fait par de son intérêt à le conserver à ses côtés. Mieux encore : celle-ci lui propose un accès à des recherches péculières. Elle lui fait part de certaines choses qui lui plaisent ; son emblème, des expériences inhumaines, des gemmes emblématiques artificielles… Ces fameux serpents sont exceptionnellement renseignés, et disposent d’un savoir inégalé en matière d’emblémancie a priori… Mais il serait bien trop fatigant d’être méchant. De faire le mal. Il est plus agréable d’étudier tardivement à la lueur d’une bougie, entouré de bons camarades. Linhardt rejoindrait les forces des Aigles de Jais.

Se tenant loin des champs de bataille, il s’occupe des blessés lorsque son aide est nécessaire ; il se préoccupe davantage de ses recherches toutefois. Linhardt est éloigné des décisions politiques, accueille la nouvelle d’une trêve comme un énième avantage pour ses études, déterminé à défaire Fódlan de l’impact néfaste des emblèmes, pouvoir guérir ceux qui en souffre ; devenir celui qui percera leurs mystères et fera de sensationnelles découvertes.

Rien n’importe plus au fils von Hevring que sa liberté ; la vie est trop courte pour n’être articulée que de contraintes, inquiétudes, problèmes, obligations, et la liste apparaît sans fin. Une pléthore de mots pour résumer la désagréabilité que le reste du monde semble accepter sans broncher. Linhardt ne mange évidemment pas de ce pain-là. Toutes ces bêtises inculquées par la noblesse : zou. Hériter d’un territoire pour satisfaire les délires de grandeur de ses aïeux ? Hors de question. Son père regorge suffisamment de fierté pour qu’il n’en éprouve aucune. S’entraîner, et taper bêtement, frénétiquement, sur une cible dont le bois aurait pu tout simplement servir à mettre au monde une chaise de bonne facture, bien plus confortable ? Quelle idée ! Se plier aux caprices de ceux que le sang a propulsé au-dessus ; qui sont-ils pour disposer des talents qu’un individu a à offrir ? Absurde. Il s’agit d’employer son énergie à bon escient. Pas la peine d’en faire des caisses. Imaginez : remuer ciel et terre, déplacer des montagnes, et acquérir une masse musculaire impressionnante, certes, mais quid de ceux qui expirent sur le champ de bataille après tant d’années passées à perfectionner leur technique ? Trop dangereux, rendement négatif. De la pure bêtise. C’est à en choper des migraines atroces à force de cogiter sur les possibles raisons saugrenues poussant ces hommes à agir de la sorte.

Décontracté ; le maître mot du garçon. Un bon nombre bénéficierait à ralentir sur ces histoires martiales —mais il serait bien trop éreintant de tenter, vainement, de leur faire entendre raison— autour de Linhardt. Il entend parfaitement les impératifs inhérents à certaines positions qu’il ne souhaiterait définitivement pas occuper ; toutefois, certaines activités que la plupart néglige —à tort— le passionnent. La pêche, la lecture, par les Quatre Saints, la sieste ! Comme statué plus tôt, c’est une histoire de répartition de sa capacité de concentration et de travail, ni plus ni moins. Autant dire que poser son derrière à l’ombre en attendant qu’un petit animal morde à l’hameçon est tout à fait dans ses cordes.

La légende raconte que personne n’aurait aperçu Linhardt sur le terrain d’entraînement de Garreg Mach ; pas même une goutte de sueur n’aurait perlé sur son visage durant son séjour là-bas. Un scénario plausible. C’est que l’homme se plaît dans la théorie, et se tient loin des hurlements déchaînés et effusions de sang. Plus particulièrement, il voue ses nuits à l’emblémancie. Il serait aisé de supposer que cette science est donc responsable de son incapacité à conserver les paupières ouvertes durant un discours important, ou une énième histoire invraisemblable de Caspar. Mais ce serait grave méprise. Linhardt est seulement doté d’une somnolence inébranlable ; bien que cela ait une petite incidence là-dessus malgré tout. À ne pas confondre avec arrogance ou indifférence. On peut cependant lui reconnaître une franchise à toute épreuve, voire un manque d’empathie. S’il a quelque chose à dire, rien n’y pourra rien : ça sortira comme c’est venu. En une seconde, et sans filtre. Réfléchir pour percer les mystères des emblèmes : oui. Réfléchir pour parler : raté.

S’il est principalement surpris dans un demi-sommeil —ou au contraire, introuvable—, l’emblémancie semble lui procurer des aptitudes physiques nouvelles. Linhardt, tant absorbé par ses recherches de la plus haute importance, en oublie ses besoins primaires. Au détriment de sa santé, le voici, imperturbable, enchaînant sa deuxième nuit consécutive d’étude intensive. Pour parvenir à ses fins, il n’a peur de rien ; et cela signifie qu’il ira tout faire pour étoffer ses notes, parfaire ses connaissances. Jusqu’à, hypothétiquement, marier un individu avec lequel ils partagent un emblème identique afin d’en apprendre plus sur leur propagation, ou l’évolution de l’intensité de leur pouvoir. Ou encore, insister afin de tenir une relique de héros de ses propres mains, car sait-on jamais : sur un malentendu, on pourrait découvrir davantage de détails précieux, au lieu de se changer en bête effroyable. Peut-être découvrira-t-il un moyen d’user réellement du pouvoir des emblèmes dans un contexte autre que les combats ?

Investi, mais pas trop. Tout cela dépend de beaucoup de facteurs. C’est ainsi qu’on lui attribue un certain égoïsme. Peut-être mérité ; ses recherches ne sont, après tout, que motivées par sa curiosité, et son propre plaisir. Les choses doivent être faites, et bien ; la solution de facilité n’est jamais une option pour lui. Mais Linhardt ne répond de personne. S’il n’obtient rien de gratifiant à la clef, c’est-à-dire quelque chose de pertinent à ses yeux, ou se retrouve sous la direction de quiconque : c’est impensable, ridicule. Il s’en retourne dormir sous une épaisse couette. Très intelligent, somme toute, mais davantage s’il peut en tirer profit ; capable, mais aussi flemmard.

Un tel portrait dressé laisserait supputer que Linhardt est un absolu désastre social ; on ne peut pas lier fainéantise et amitié. Faux. Cet égocentrisme n’est qu’une façade ; il sait aussi faire preuve de remord, de culpabilité, eût-il refusé de prêter main forte à une âme dans le besoin, et assistant à son désarroi. Flegmatique, certes, mais il sait faire preuve de gentillesse et d’intérêt sincère envers ses pairs. Une oreille attentive, un ami disponible —mais il faut pas abuser ; son degré d’implication et sa volonté sont tributaires de son lien avec la personne… Le bon côté, c’est que si Linhardt est confronté à quelqu’un qui s’emporte facilement ou qui exprime un ras le bol total vis-à-vis de son tempérament insouciant, il est bien la dernière personne qui risquerait de se braquer. Difficilement contrarié, son indulgence n’a pas d’égal. Peut-on même appeler ça de l’indulgence quand il est clairement question plutôt d’une sorte de nonchalance, voire je-m’en-foutisme ? Blesser quelqu’un qui n’en a rien à faire ? Bon courage. Au pire des cas, son sommeil sera retardé d’une trentaine de secondes, le temps pour lui de réaliser à nouveau que ça lui en touche une sans bouger l’autre. Mais si toutefois un camarade qui lui est cher requiert son aide, il s’évertuera à trouver une solution, quelles que soient les difficultés sur son chemin, s’il en est en mesure.

Si Linhardt tend à favoriser les temps calmes en solitaire, il apprécie également les individus qui mettent du cœur à l’ouvrage, honnêtes dans leurs entreprises. Sa détermination, fluctuante par moment, lui faisant défaut engendre son admiration envers cet investissement intarissable dont ils font preuve. Il peut même envier ceux dont le destin semble tout tracé, ne parvenant à trouver de but concret, de par sa difficulté à envisager de poursuivre ce qui l’intéresse précisément en raison des interactions avec les autres.

Linhardt est très doué pour déceler les petits secrets de ses compères. Ceux qu’ils cachent pour leur propre bien, par exemple ; peu lui importe. C’est là un aspect agaçant de sa personnalité : cette capacité qui lui est propre à poursuivre ceux qui retiennent son attention, possédant des particularités méritant à tout prix d’être examinées avec minutie selon lui… Il questionne, il insiste, il poursuit sans relâche —jusqu’à ce que le sommeil le rattrape. C’est tout bonnement lui qui doit percer ce mystère qui l'interpelle ; les anomalies en emblémancie se font rares, et sont de fait significatives ! Observateur et attentif, rien ne lui échappe ; couplé à la vastitude de ses connaissances, il est redoutable… Et l'on ne se défait pas de lui d'un revers de la main.

Les raisons de son besoin de sommeil exacerbé sont multiples. La plus évidente est la conséquence d’un travail acharné en dépit du rythme de vie habituel d’un être humain. Une autre, en revanche, bien moins connue, révèle un pan de sa personnalité très discret ; dormir lui sert mêmement à fuir certaines problématiques trop encombrantes ou des événements fâcheux et douloureux.