Les jours à Derdriu étaient longs. Tu ne pouvais pas faire ce que tu voulais, et même si tu appréciais la compagnie de Claude en particulier, tu n’aimais pas rester trop longtemps au même endroit. Il avait des obligations, de lourdes responsabilités, toi non. Un peu moins dira-t-on, puisque ta famille était tout à fait capable de s’occuper d’elle en ton absence. Depuis le drame de ton retour de l’Académie des Officiers, tu avais pris quelques précautions. Ta mère semblait avoir repris ses esprits également, elle ne laisserait plus une telle chose se produire. Elle avait été une grande mage à l’époque, il serait temps qu’elle reprenne ses devoirs de parent en main. Délaissant alors sa dépression passagère due à ta fugue de l’époque et la relation que tu entretenais avec ton père lorsqu’il était encore en vie, elle s’occupait à présent un peu plus de ton avenir. Trop sans doute.

Te marier, qu’elle te disait. Ce n’était clairement pas pour toi. Trouver une gentille femme avec qui tu pourras passer le reste de ta vie, et ainsi apporter un confort continu à tes futurs enfants. Tu n’irais jamais t’encombrer de telles choses. Tu aimais l’aventure, les voyages, les histoires de fantôme, et par-dessus tout, tu étais égoïste. Tu n’aurais jamais les épaules pour tout ce qu’elle souhaitait pour les Leoxses, pour toi, pour la descendance future. Elle continuerait certainement avec ta sœur, pas toi. Tu n’en avais pas envie.

Tu avais descendu les bords de la frontière entre Faerghus et Leicester, livre en main, récits en tête. Tu écoutais quelques petites choses, tu cherchais une nouvelle quête qui pourrait faire vibrer tout ton être. Une maison hantée par exemple. Cela serait vraiment la meilleure chose qui pourrait t’arriver. Cependant, rien de tout ceci ne venait à tes oreilles, les choses semblaient tendues mais uniquement en raison de la trêve quasiment imposée par la fameuse impératrice.

Tu n’avais pas envie de penser à cette personne à l’origine de la guerre, alors que tu grignotais quelques baies logées dans ta sacoche trop vieille pour ce genre de périples. Il t’en faudrait une nouvelle. Tu y penserais pour ton retour en ville.

Ce qui était bien lorsque tu étais seul, lorsque tu voyageais sans but précis et sans compagnie, c’était que tu ne devais pas faire semblant. Oui, tu pouvais aisément et naturellement t’émerveiller devant ce que tu voulais, autant que faire la tronche pendant un bout de chemin. Tu n’avais pas besoin de sourire à tout va, et de toute façon, depuis la guerre, c’était devenu chose difficile pour tout le monde.

Lors d’un arrêt dans un petit village des environs du Comté de Daphnel, tu laissas tes oreilles traîner sur une conversation à propos d’un endroit dit hanté, que plus personne n’allait voir. Tu pris quelques notes sur la direction à prendre, et avant que les personnes qui parlaient ne s’en aillent, tu les arrêtas avec un sourire aimable, une mine adorable, pour leur poser des questions. L’homme semblait réticent, te lançant un regard juge, alors que la jeune femme répondit à absolument toutes tes interrogations, se permettant même d’essayer de te dissuader d’y aller. Avec un dernier sourire, un signe de la main pour la saluer, tu lui dis d’une voix doucereuse : « Je ne crains pas ces histoires, et je reviendrai vous prouver que j’avais raison. » Bien sûr, tu ne comptais pas revenir, sauf si tes pas te conduisaient dans le même village. Tu ne cherchais pas particulièrement à lui donner de nouvelles. Le gars semblait enrager dans son coin.

Tu t’étais donc précipité dans une région déserte, la nuit commençait à tomber, mais tu ne voulais pas t’arrêter avant d’avoir trouvé ce dit endroit. La guerre avait ravagé nombre de lieux, cela faisait peine à voir. Pour des idéaux plus grands que soi ? Tu poussas un franc soupir, en te frappant mentalement pour te forcer à ne plus y penser. C’était difficile à faire évidemment, les ravages étaient partout autour de toi.

Et alors que cela commençait à entamer ton moral, tu aperçus une sorte de chapelle, dans un village complètement rasé. Les maisons étaient tombés, plus une seule pierre ne tenait une bâtisse digne de ce nom, et le devant de l’Église était en ruines. Un petit sourire victorieux naquit sur tes lèvres, alors que tu commenças à rassembler un peu de bois, pour te faire griller quelques mets achetés avant de partir. La faim creusait ton estomac, et tu voulais absolument avoir de la force pour affronter cette nuit qui s’annonçait.

Tu déposas alors tes affaires, et allumas tranquillement un feu. Les yeux dirigés vers le ciel étoilé et clair, tu laissas tes pensées vagabonder quelques instants tout en attendant que ta nourriture grille un peu. Tu consultas pendant plusieurs minutes tes notes, regardas avec une attention toute particulière tes dessins, tes pages entières remplies de gribouillis que seul toi pouvais comprendre. Tu aurais aimé que la situation politique en soi autrement, tu aurais pu découvrir des lieux absolument magnifiques.

Tu avais le nez plongé dans tes notes, laissant la chaleur des flammes te réchauffer tout doucement. Il ne te fallait pas grand-chose pour retrouver le sourire. Une aventure excitante, des histoires de fantômes, et le tour était joué. Tu soupiras, délaissant les pages noircies de gribouillis en tout genre pour regarder les quelques nuages qui dérangeaient la sérénité de la lune et des étoiles. C’était quelque chose de reposant, la nature à l’état sauvage, la quiétude d’un endroit dit hanté, et la sensation de liberté. Cela courait dans tes veines avec joie.

Ta tranquillité fut bien trop rapidement éteinte par une présence. Aucun frisson dans le cou, ce qui signifiait que quelqu’un s’approchait de l’endroit où tu étais, un être bien vivant. Tu étais déçu, en quelque sorte. Cela aurait été mieux que ce soit un fantôme, ou une autre créature. Tu n’aimais pas forcément la compagnie des autres, à part celle de Claude et peut-être celle de Lysithea. Cela restait encore à confirmer. Trop de gens te donnaient la sensation d’être acculé, d’étouffer.

Certes, cet humain était seul.

Tu jetas alors un regard vers cet inconnu indésirable. Un homme, grand, élancé, musclé, avec un sourire collé à la tronche. Pas de quoi fouetter un chat en somme. Il te demandait s’il pouvait profiter de la chaleur de ton feu, tu avais envie de refuser, tu ne répondis pas tout de suite. C’était qui lui d’abord ? Qu’est-ce qu’il faisait dans TON endroit ? Il ressemblait à une sorte de soldat, ou de mercenaire vu la façon dont il était habillé. En était-il un ? Tu reportas ton attention sur le feu, qui continuait de griller doucement ta nourriture.

Tu pris sur toi.
Tu lui adressas un doux sourire angélique.
Un regard bienveillant.

« Je vous en prie. Un peu de compagnie n’a jamais tué personne. » Tu en aurais presque vomi. Cela faisait un bail que tu n’avais pas eu à user de ton charme de gamin, de ton sourire hypocrite pour paraître docile et adorable. Tes mots coupants comme une épée aiguisée et désagréables avaient été noyé par ton sourire doucereux. Tu avais envie qu’il s’en aille, mais parfois, le meilleur moyen de les faire fuir et de t’amuser était de les accueillir à bras ouverts. Et si jamais un fantôme se pointait, tu adorerais voir sa réaction.

« Que venez-vous ici ? » Le ton un peu désinvolte, le sourire toujours accroché aux lèvres, tu te repris bien vite. « Ce n’est pas un endroit où l’on a envie de se perdre. » Tu reportas ton attention sur ta nourriture, et pris la viande qui était en train de griller, pour commencer à la grignoter devant lui. S’il voulait manger, qu’il aille chercher un truc. Tu ne lui proposerais rien de ta propre initiative. Après tout, tu avais payé cette nourriture. Tu étais beaucoup trop égoïste pour penser à lui partager quoi que ce soit.

Tu n’en avais pas envie.

Alors que tu grignotais tes morceaux de viande fraîchement grillés sur le feu, tu te permis de le regarder discrètement. Tu semblais absorbé par le crépitement du feu, mais ton attention était entièrement dirigée vers cet inconnu malvenu. Tu n’avais pas envie de lui ici, tu voulais être tranquille, profiter de cette nuit pour découvrir les agissements des esprits de ce lieu hanté. Beaucoup de choses s’étaient dites sur cette chapelle, mais personne n’était aussi courageux que toi, ou friand de ce genre d’histoires pour aller vérifier si les faits étaient véridiques. Ou non. Tu le saurais bien assez vite.

Tu décides de lui demander ce qu’il fait ici. Un pauvre type qui vient se perdre ici, c’est une exclusivité. Et tu aimerais bien savoir la raison pour laquelle il vient te déranger ainsi dans une enquête aussi sérieuse. Bien sûr, tu savais d’avance qu’il te prendrait pour un fou si tu devais lui dire la raison de ta venue ici, mais tu pourrais tout aussi bien esquiver. Ou être sincère. Peut-être que cela faciliterait son départ.

Tu l’observas du coin de l’œil chercher dans son sac, pour en sortir de la nourriture. Ah, tu pouvais manger en toute sécurité, sans appréhender une demande de partage de bouffe. Autant dire que ça aurait été hors de question. Tu l’écoutas d’une oreille attentive, même si tu semblais tout à fait ailleurs. Il venait de loin. Il était mercenaire. Et le fait qu’il précise qu’il était là simplement à cause du hasard te laissa perplexe.

Tu en oublias de croquer dans ta viande.
Il se foutait de toi non ?
Clairement.

Il devait te penser vraiment stupide pour penser que tu ne capterais pas les signaux envoyés dans ses mots. De nature perspicace, tu te demandas s’il n’était pas justement ici pour un contrat. Un mercenaire si loin de sa patrie, qui soit disant n’était là qu’à cause d’un événement aléatoire … Tu n’étais pas si stupide pour le croire. Tu ne répondis à sa tirade que par un sourire factice et un hochement de tête.

Tu te perdis rapidement dans tes songes, pour éviter de paraître trop désagréable. Il te coupa cependant bien rapidement avec une nouvelle question. Tu esquissas un rapide sourire, avant de lui en adresser un beaucoup plus aimable. « C’est une chapelle abandonnée. Personne n’aurait envie d’y mettre les pieds sans y être contraint. » Sans avoir un contrat à remplir. Tu te retenais de lui balancer.

Tu terminas ta viande, et rangeas ton livre dans ta besace, pour te lever, épousseter ton derrière et avancer de quelques pas vers la chapelle dite hantée. Tu la fixas d’un air émerveillé, et sincère. Une expression que tu n’avais que lorsque l’on parlait de fantômes. Il te demanda finalement pourquoi tu étais ici, si ce n’était pas un endroit à fréquenter.

Un rire s’éleva.
Amusé.
Moqueur.

Un air naturellement innocent, des yeux pétillants et le reste d’un sourire sur le visage, tu te tournas à moitié pour lui faire face. « Je suis ici pour satisfaire ma curiosité. J’enquête sur des lieux dits hantés, et j’espère un jour rencontrer un fantôme. » Retournant ensuite ton corps vers la chapelle, tu te décidas à aller à l’intérieur. Maintenant que tu avais mangé, que tu étais en pleine forme, tu voulais être aux premières loges. Si un esprit devait se manifester, tu ne voudrais louper cela pour rien au monde.