Une causerie impie

L'ignorance innocente

ㅤLe village était étrangement vivant, c'était sûrement une bonne nouvelle. Peut-être qu'une attaque de bandits avait été repoussée dans les jours précédents. N'importe qui s'en serait réjoui. Néanmoins, pour une jeune femme dont la peau était recouverte d'un film de sueur et de boue, la foule était plutôt un obstacle qu'une cause de célébration. Elle avait la sensation que le tissu de ses vêtements collait autant à son corps que les passants se collaient entre eux afin de pouvoir traverser dans les allées les plus étroites. Elle continuait d'avancer, appréciant la brise qui lui fournissait périodiquement une légère sensation de fraicheur aux antipodes de ce qu'elle avait connu durant toute son infiltration dans les forêts de la partie l'Alliance favorable à l'Empire. Aucune information sensible ou ne serait-ce que digne d'intérêt ne lui avait été révélée pendant sa mission. Shamir n'avait qu'une hâte : faire son rapport et rejoindre la salle de bains la plus proche. Elle calcula mentalement l'itinéraire le plus rapide pour atteindre l'église du village, là où les plus hauts gradés avaient le plus de chances de se trouver alors qu'il était presque midi. Evidemment, elle évita la place centrale et les rues adjacentes dans lesquelles se trouvaient quelques stands des vendeurs.

ㅤCe n'était évidemment pas une tâche très difficile pour elle d'atteindre l'église, elle le fit ainsi plutôt aisément. La bâtisse était loin d'être aussi impressionnante que son équivalente qui se trouvait au Monastère, en tout cas du temps où il n'avait pas encore été détruit. Elle ouvrit la porte pour rentrer dans le narthex de l'église. Deux gardes étaient logés dans cette petite pièce, s'assurant que personne de suspect ne rentre et ne cause de problèmes. Heureusement, Shamir était connue de la plupart des membres des chevaliers de l'Ordre et put passer sans aucun contrôle. Ils lui ouvrirent les portes pour qu'elle puisse entrer dans la nef. La jeune femme marcha au milieu des piliers et regarda de chaque côté, tentant de repérer quelqu'un à qui elle pourrait faire son rapport. Elle se rendit compte très rapidement que personne d'un grade suffisant de se trouvait aux alentours. Elle soupira face aux statues des Saints, sans leur prêter attention. La chevalière resta fixe pendant quelques instants : devait-elle continuait à chercher quelqu'un susceptible de recueillir... son manque d'information ou devait-elle abandonner pour l'instant puisqu'elle n'avait rien d'urgent à notifier ? Sa présence et son ajout aux effectifs pouvant être affectés aux différentes missions était malheureusement une information qui devait être notifiée en elle-même. Elle se retourna et vit l'un des gardes qui lui avait ouvert la porte précédemment, elle l'interrogea d'une voix monotone :



ㅤLe ton du jeune homme exprimait une certaine gêne et une légère peur, après tout Shamir était un membre important de l'Ordre et il se trouvait dans une situation assez inconfortable où il devait lui refuser des informations pour respecter les ordres qui lui avaient été donnés. Toutefois, heureusement pour lui elle n'était pas du genre à faire jouer son grade pour terroriser les autres et lui répondit simplement d'un signe de tête qui signifiait la fin du bref échange. Elle se prépara alors à quitter l'église pour rejoindre la taverne et finalement se nettoyer.

Codage par Libella sur Graphiorum

Les derniers jours avaient été marqués par le froid et la pluie qui s’était abattue sur les terres où le village des Saints était établi. Le sol était gorgé de l’eau vestige du déluge de la veille, les plantes gelées par le froid ou noyées par les averses. Les conditions météorologiques n’avaient pas pour autant empêché les braves de s’entraîner. Quand bien même le soleil était de mise ce jour-là, la boue maculait toujours les vêtements et les corps de ceux qui travaillaient. Sans doute était-ce là un moyen des plus fiables pour reconnaître ceux qui menaient une vie douce au village des autres. Gabrielle faisait partie de ces derniers. Elle avait passé la matinée à s’entraîner avec acharnement afin de muscler son corps frêle. La blonde avait commencé dès l’aube ; munie de sa fidèle lance de fer et d’un mannequin d’entraînement mis à disposition des recrues, elle s’était installée à la lisière du village et avait entamé l’exercice. Seule, elle avait couru, tourné en rond et perfectionné ses techniques auprès de l’homme de bois qui lui servait de cible, les efforts lui laissant échapper des grognements de temps à autres, grognements qui tranchaient avec son usuelle voix fluette. Et ses vêtements, victimes du sort, s’étaient retrouvées couverts de boue.

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Gabrielle décida enfin de prendre une pause dans son entraînement acharné. A bout de souffle, la gamine essuya la sueur de son front de son bras couvert de boue. Ses cheveux d’un blond fade n’avaient plus rien de leur couleur originelle. L’écuyère récupéra le mannequin et sa fidèle lance d’entraînement avant de revenir vers le centre du village pour tout remettre en place dans le local situé juste à côté de l’église. Fière de ses efforts, la blonde s’accorda une pause et pénétra dans le bâtiment sacré après avoir pris quelques minutes tout d’abord pour dépoussiérer ses vêtements tâchés de boue et nettoyer ses cheveux grâce à un seau qu’elle remplit d’eau, ce qui était loin d’être la meilleure idée qu’elle aurait pu avoir. Ses cheveux humides amplifiaient la sensation de froid qu’elle ressentait – la gamine était engourdie par le gel. Sans attendre une seconde de plus, elle pénétra dans l’enceinte sacrée et franchit l’allée d’un pas respectueux avant de s’agenouiller devant les statues des saints. Les mains serrées devant son front, en position de prière, la jeune fille adressa quelques mots à la Déesse qu’elle aimait tant. Des remerciements, essentiellement, peu de demandes comme à son habitude. Merci pour cette vie, chère Déesse. Votre Grandeur nous sauve tous des adrestiens hérétiques et impies, destructeurs de Votre sanctuaire. Je Vous fais la promesse de venger Votre honneur et Votre nom.

La prière finit quand les cloches de midi résonnèrent dans l’Eglise du village. Les paupières de Gabrielle se rouvrirent sur la lumière qui pénétrait dans l’Eglise. Après quelques secondes d’acclimatation, l’élève se redressa et se dirigea vers la sortie, tête baissée. Du moins, c’était ce qu’elle prévoyait de faire. Son regard croisa la silhouette de Shamir. La Shamir. Le souffle coupée, elle s’abrita derrière un banc comme s’il allait la protéger du regard d’une des personnes qu’elle admirait. La mercenaire s’entretint quelques secondes avec un soldat avant de se diriger vers la sortie. Gabrielle allait manquer l’occasion de l’aborder ! Elle se mordit la lèvre un bref instant, hésitante, avant de se jeter à l’eau. Elle devait trouver quelque chose à dire, quelque chose pour retenir son attention. Son regard se posa sur une statue et elle sut quoi dire. Ni une ni deux, elle se dressa à côté de Shamir – sans pour autant lui bloquer le chemin, de peur de faire mauvaise impression. « Vous avez vu la statue de Sainte Cethleann ? Saviez-vous qu’elle possédait autrefois un pégase légendaire ? » Gabrielle fit mine de réfléchir une seconde. « Sans doute préférez-vous les Saints orientés vers le combat tel que Saint Cichol, excusez-moi. » Elle n’était pas désolée, elle débordait d’admiration.

Une causerie impie

Une découverte surprenante

ㅤShamir remarqua la jeune et petite femme avant même que celle-ci ne se soit mise subtilement à ses côtés. Après tout, la furtivité était l'un de ses points forts... ce qui ne semblait pas nécessairement être le cas de sa nouvelle interlocutrice. Elle plissa des yeux lorsque son visage apparut dans sa vision centrale, reconnaissant ce dernier. Si ce visage lui était quelque peu familier, c'était simplement du fait de regards lancés auparavant. Sûrement Shamir l'avait-elle croisé au village des Saints, sans être elle-même repérée, ce qui n'était pas rare. Shamir esquissa un léger sourire en coin alors que son observatrice commençait à étaler ses connaissances. La membre de l'Ordre regarda les statues correspondant aux Saints qu'elle évoquait et décrivait. L'ancienne archevêque elle-même n'avait jamais tenté de convertir la femme originaire de Dagda, et voici que la femme qui ressemblait presque à une enfant se lançait dans un discours théologique. Elle se retourna légèrement pour lui faire face.


ㅤNe l'avait-elle jamais su ou l'avait-elle simplement oublié ? Elle lâcha un léger ricanement accompagné d'une pointe d'amertume. Elle n'était évidemment pas aveugle, elle se rendait compte que la jeune fille faisait de son mieux pour lui parler, pour l'impressionner. Shamir n'était peut-être pas la femme la plus habituée ou la plus friande des contacts sociaux, elle n'était pourtant pas non plus sans cœur. Elle n'avait qu'à tenter de rentrer dans son jeu au moins pour un court échange, elle n'avait de toutes façons rien d'urgent à faire dans l'immédiat :


ㅤL'archère n'avait jamais réellement compris le rapport que les croyants de la Déesse entretenaient avec leurs Saints. Malgré leur présupposé croyance en une unique déesse, le culte rendu à ces anciens individus ne paraissait pas bien différent de celui rendu à une Divinité à ses yeux. Mais qui était-elle pour juger après tout ?

ㅤElle marcha lentement vers le banc qui avait servi de couverture à la jeune femme quelques minutes plus tôt. Elle s'assit délicatement dessus pour reposes ses jambes, puisque la conversation pourrait durer plus que quelques instants. Elle repoussa sa frange, qui collait légèrement à sa peau, de ses yeux afin de libérer son visage. Signe implicite d'ouverture. Sa jambe droite se souleva pour se reposer sur son autre jambe et son dos utilisa le dossier à la même fin. Bien qu'elle ne se l'admettait pas, même intérieurement, Shamir était en réalité plutôt curieuse quant à l'attention qu'elle recevait. Pas d'une manière narcissique ou égocentrique, simplement... une curiosité naturelle. Elle n'avait jamais été le genre de femme admirée en Fódlan : Etrangère, non-croyante, combattante à distance et partisane de la furtivité plutôt que des cris de guerre motivants. Ou peut-être se trompait-elle totalement ? Peut-être cette jeune femme avait attendu toute la journée au pied de ces statues pour répandre son savoir à leur sujet à chaque passant. Le seul moyen de l'apprendre était de donner suite à cette invitation à converser :


ㅤAprès tout ce temps passé au Monastère, elle avait gardé l'habitude du vouvoiement. Elle ne savait pas véritablement différencier les roturiers des nobles et ces derniers se sentaient souvent offensés par l'usage du tutoiement. Cela ne signifiait pas non plus qu'elle respectait l'ensemble des règles d'étiquette, si la femme en face d'elle était une noble... être couverte de boue et de sueur n'était peut-être pas approprié. Toutefois, Shamir ne se mettrait pas à genoux pour s'excuser de l'état dans lequel elle était suite à sa mission.

Codage par Libella sur Graphiorum