Enbarr et ses commerces hauts en couleur, ses rues animées par les joies de certains et les détresses des autres. Cela ne faisait seulement que quelques jours qu'il avait rejoint la capitale impériale suite à la réussite de sa dernière mission. D'abord nostalgique des grands espaces qu'il avait pu admirer sur sa route, il s'était vite retrouvé stimulé par les rumeurs volatiles et les ragots retrouvés. Balder savait pertinemment que toute information était une monnaie d'échange qui servirait un jour ou l'autre à un individu dans le besoin. Le talent unique qu'il possédait et exploitait à outrance était bien de créer ce besoin pour en tirer profit. Ainsi, son élément retrouvé, il s'était mis en tête d'ouvrir œil et oreilles pour rattraper son retard et apprendre tout ce qu'il était possible d'apprendre en un temps record. Dans sa quête de pseudo-vérité une information attira particulièrement son attention. La dénommée et réputée Cornélia Arnim était ici à Enbarr. En tant que mage et ancien membre de l'école de magie de Fhirdiad, il était impossible de ne pas connaître cette femme à l'aura particulière. Plus que la curiosité, ce fut bien le besoin de réponse qui poussa le diplomate à mettre en place sa stratégie d'approche.

Durant les trois jours qui suivirent, Balder utilisa sa position pour obtenir le plus de détails sur les habitudes de la femme qui avait su capter son intérêt. Il dut bien admettre que l'approcher conventionnellement serait compliqué car cette dernière semblait attacher un désir tout particulier à occuper une place importante à la cour impériale. De ce fait, celle-ci passait le plus clair de son temps dans ses appartements ou errait au milieu des hauts placés espérant sans doute attirer l'attention. Dame Arnim savait ce qu'elle faisait, le mage en était certain. Il décida par conséquent d'user d'un subterfuge tout sauf subtil pour pénétrer dans ses appartements sans avoir au préalable dût s'annoncer officiellement.

Chaque soir, celle-ci demandait à se faire porter un thé qu'elle prenait plaisir à siroter sur son balcon. En ayant connaissance de cette information il ne restait au jeune homme qu'à se faire inviter sans que la concernée n'en ait conscience. Le soir venu, un deuxième thé à la main, il s'interposa entre le serviteur et la porte des appartements de l'enchanteresse. « Je vais m'en charger. Merci. »
Le regard interrogateur du commis poussa Balder a usé de la menace. « Dépêche toi. Et avise toi de toucher un mot de ceci à qui que soit... Tu peux être certain qu'une bourrasque malencontreuse te fera basculer par la première fenêtre que tu croiseras. » Bien qu'il ne pensait pas une seconde un quelconque mot de ses dernières paroles, la fin justifiait ici largement les moyens. Sans demander son reste, le menacé posé doucement le plateau et d'un franc acquiescement, quitta les lieux sans se retourner. Balder posa donc sa propre tasse pour accompagner celui de sa future interlocutrice. Il frappa à la porte d'une main et entra lorsqu'il entendit la voix de l'occupante. Déjà installée sur le balcon, il ne pouvait nier qu'un charisme particulier se dégageait de la femme au physique plus qu'agréable. L'expérience de Balder lui éviterait cependant de sombrer face à des charmes réels et visiblement assumés. « Dame Arnim, votre thé est servi. Il semblerait que ce soir vous ayez de la compagnie. »

Sans attendre un regard ou une approbation, le diplomate prit place sur une des chaises confortables qui entouraient une élégante table basse. La fraîcheur de l'hiver se faisait sentir mais le climat restait supportable. « Ne soyez pas inquiète. Je ne vous veux aucun mal. Balder Aeser, diplomate de l'Alliance et conseiller de l'ambassadeur. Mage et diplômé de l'école de magie ainsi que de l'académie des officiers. Maintenant que mon historique est annoncé, auriez-vous quelques instants à m'accorder ? » Il l'invita d'un geste à s'asseoir en face de lui, comme si les lieux étaient les siens et Cornélia son invité.  

Le calme, enfin. C’est après une nouvelle journée d’agitation et de chaos à la cour, jouant le nécessaire et compliqué jeu de l’influence, que l’ancienne mage royale put enfin observer son rituel du soir.

Assise à son balcon, profitant de la fraîcheur nocturne pour calmer ses esprits et revenir sur les évènements de la journée sous un nouvel angle, elle attendait avec patience la dernière touche de son rituel. Sa boisson chaude délicieusement aromatisée.

Tout à ses pensées, elle accueillit la nouvelle de son arrivée d’un mot absent. Invitant comme à son habitude sa domestique à entrer. C’était une danse qu’elles pratiquaient toutes les deux depuis quelques temps maintenant, chacune en connaissait les pas. Et pourtant… Ce soir la chorégraphie ne fut pas la même. Une pause légère que ne marquait jamais sa domestique, la démarcher et puis bien entendu… la voix…


Grand, élancé, bien fait de sa personne, un plateau qui n’avait rien à faire là entre les mains, un homme se tenait à l’entrée de ses appartements, l’observant à travers les rideaux diaphanes lentement bousculés par le vent, un sourire calme aux lèvres.

Conservant la maîtrise de sa surprise, elle n’eut pas à attendre longtemps pour le voir prendre l’initiative et entrer plus avant, se dirigeant sans hésitation vers elle pour s’asseoir à sa table et placer le plateau entre eux.


Elle devait avouer devoir lui accorder le bénéfice de l’audace. Ce jeune homme ne manquait pas de courage pour s’introduire ainsi dans les appartements d’une dame, sans invitation ni annonce et imposer le cours de la conversation.

Se renfonçant lentement dans son fauteuil, Cornélia croisant lentement les jambes, le drapé de sa robe glissant délicatement le long de sa cuisse pour dévoiler son mollet droit tandis qu’elle l’observait avec un demi-sourire, une étincelle d’amusement dans le regard.


Le sourire de la mage s’affina lentement tandis qu’elle maintenait son immobilité, sans faire un geste vers les tasses encore fumantes les séparant. Plongeant son regard céruléen dans celui de son interlocuteur, elle poursuivit, suâve.


Penchant la tête de côté, elle lui adresse un sourire amusé tout en déposant la main sur la table, tapotant doucement de l’index sur sa surface.

Tout dans l'attitude de cette femme laissait penser à de la manipulation, comme un levier qu'elle actionnerait en sachant parfaitement quelle conséquence allait ressortir du moindre soupir expiré. En cela Balder devait lui reconnaître un talent incommensurable. Dame Arnim était une femme puissante, sûre de ses atouts et bien disposée à en abuser. « Oh mais ne soyez pas si sure que ce soit les geôles qui m'attendent. Je prétexterai simplement un besoin de découvrir la femme qu'on dit si déstabilisante que même le plus insensible des hommes s'inclinerait devant elle. J'ai suffisamment d'influence pour que mes mots soient entendus. Tant que je n'use pas de violence, soyez certaine que je suis en sécurité. Par ailleurs ne prenez pas ces compliments pour acquis, je ne me fie qu'aux rumeurs. Je préfère me faire mon propre avis. »

Balder versa délicatement l'eau chaude dans les deux tasses déjà remplies et qui infusaient désormais. La gestuelle de son interlocutrice prêtait au regard vagabond mais ne sèmerait pas aussi facilement le trouble dans son esprit. Le mage était là pour obtenir des réponses, des récits valant la peine d'être écoutés et surtout des informations pouvant lui servir. Le parcours de cette femme se prêtait à tout ce qu'il recherchait, telle une mine d'or dont il pourrait tirer profit sans limite. Néanmoins il lui faudrait jouer la stratégie pour obtenir un semblant de satisfaction quant à cet entretien. « Bien que je ne craigne pas pour ma sécurité, je vous propose d'exposer mon argumentaire dans le temps que vous imposez. Si vous n'êtes pas satisfaite, vous n'aurez pas à me congédier, je partirai de mon plein gré. »

Une première gorgée marqua le début des hostilités. Le thé était chaud, pas encore suffisamment parfumé, mais la gestuelle à l'instant T était nécessaire. Tout était question d'image. « J'ai beaucoup entendu parler de vous. Il fallait que je puisse constater par moi même quel genre de femme vous étiez. Celle qui trahit une nation entière au profit d'une autre après avoir accompli tant de prouesses pour cette première. Je suis d'un naturel curieux, avide de savoir, et vous en possédez tant que le moindre échange avec vous pourrait m'être profitable. Néanmoins je ne m'explique pas ce comportement et … Je n'aime pas ce qui m'échappe. Ainsi si vous pouviez, à défaut de me livrer votre vie sur un plateau, m'expliquer ce que vous trouvez de tellement attirant au sein de l'empire, vous me combleriez. Je suis sur que vous me comprenez.» Y aller franc jeu était la meilleure approche face à tel personnage. Bien trop intelligente pour s'encombrer de facéties, elle n'allait pas être dupe. « Voyez-vous, bien que partisan de l'empire, je suis originaire de l'Alliance. Je n'ai donc aucun intérêt à me plaindre de ce revirement qui me convient parfaitement. Mais … Voyez cela comme un en-cas qui satisferait grandement mon appétit dévorant pour les vérités de ce monde. » Et qui éclairerait peut être un peu les intentions volubiles de cette manipulatrice assumée.

Une deuxième gorgée et un regard fixe dans les yeux envoûtants de son interlocutrice. Il était censé la convaincre mais il lui réclamait un service, lui l'inconnu qui pénétra ses appartements avec l'objectif de percer à jour ses idées bien floues. Le culot... C'est bien ce qu'il comptait mettre en avant pour arriver à ses fins. La dénommée Cornélia n'était pas une femme comme les autres et une approche dans les clous ne mènerait à rien. « Soyez certaine que je vous serais redevable. Voyez cela comme un prêter pour un rendu. Satisfaites ma curiosité et je satisferai la votre. Je suis persuadé d'en être capable. » Des secrets... Il en possédait. La manipulation de l'information était un tel pouvoir qu'il en abuserait sans aucun remord.

Le diplomate se recula dans le siège, attendant maintenant que l'intrigante Cornélia réagisse à ses propos probablement inattendus. Il la fixait intensément, un sourire en coin comme pour marquer l'absence totale de malaise. « Oh et s'il vous plaît... Appelez moi Balder. » Troisième gorgée.

Il ne fallut pas prier plus que cela son interlocuteur pour faire preuve de la plus culottée des arrogances.


Crânement, il venait rien de moins que d’expliquer le fonctionnement d’une cour à celle qui en connaissaient les ficelles. Drapant son orgueil dans son orgueil, elle oscilla légèrement des épaules tout en se donnant les traits de celle qui considère les arguments d’autrui. Esquissant un sourire à ses compliments, elle prit soin d’adoucir son port, s’enfonçant dans son fauteuil tout en peignant sur son visage le tableau de l’assurance.

Son corps avait toujours été une arme subtile, loin de simplement agir pour lui permettre de lui ouvrir le cœur et les pensées de son interlocuteur, elle leur offrait également un angle d’approche et une mélodie à laquelle elle feignait de se laisser prendre.



Cornélia l’invita d’une main à continuer tandis qu’il versait le contenu de la théière fumante dans les tasses l’accompagnant sur le plateau. La vaisselle était délicate, mais dépareillée. La tasse que son interlocuteur venait de saisir n’arborait pas les mêmes motifs que celle qui lui était destinée. Notant ce détail d’un coup d’œil, elle reporta aussitôt son regard vers son interlocuteur, lui offrant un sourire charmeur alors que la conversation revenait sur elle.


La mage se retint de teinter son sourire de mépris alors que son interlocuteur lui donnait plus d’armes qu’elle n’en avait besoin au cours de leur entretien. Cette brève rencontre lui en apprenait déjà beaucoup sur lui ou sur l’image dont il souhaitait donner de lui-même. Audacieux, arrogant, sûr de lui, il parlait cependant bien trop, sûr de son avantage ou soucieux de conserver son intérêt.


Prenant le temps d’une pause, il porta sa tasse aux lèvres pour la seconde, se ménageant un temps dramatique avant d’en arriver au cœur de son argumentaire, le pic. Il lui avait expliqué ce qu’il attendait supposément d’elle, des raisons pour lesquelles il attendait cela d’elle, il lui manquait l’amorce, l’appât qui devrait la convaincre de lui offrir le récit qu’il attendait.


Le sourcil savamment travaillé de Cornélia se redressa avec amusement devant la conclusion de son argumentaire, l’observant se renfoncer dans son fauteuil, un sourire satisfait aux lèvres et lui décocher ses dernières paroles avec assurance.


Se redressant d’un mouvement fluide, sa robe glissant de nouveau le long de sa jambe pour la dissimuler de son drapé liquide, Cornélia quittant son fauteuil pour tourner autour de la table, laissant sa main glisser à sa surface d’un geste caressant pour venir se placer dans le dos du fauteuil de son interlocuteur.


Son ton se faisait traînant, suave, pénétrant.


Posant les mains sur le sommet du dossier, elle s’inclina lentement pour placer sa tête derrière celle de l’émissaire, jouant de son souffle contre son oreille.


Retirant sa main droite du dossier, elle l’étendit, venant déposer ses doigts au sommet de la tasse de l’intrus, l’invitant d’un geste doux à lui livrer la possession de l’objet.

Arnim passait à l'offensive, jouant sa voluptueuse partition à outrance. Mouvements de jambes, chuchotements travaillés, Balder devait bien reconnaître qu'elle était douée. N'importe quel naïf aurait cédé à la première sensation de chaleur recherchée par des paroles à l’atterrissage ciblé. Lui fut parcourut d'un frisson intense mais n'en laissa rien paraître, essayant tant bien que mal de contenir ses démons face à pareille initiative. Le diplomate ne bougea pas, laissant son hôte jouer son rôle alors que lui allait continuer le sien.

Sans un regard il lâcha sa tasse à l'opportuniste et se saisit de celle qui lui était initialement destinée, buvant dans cette dernière comme pour répondre à une feinte insolence. La danse des deux ambitieux avaient commencé et elle n'était pas prête de se terminer. « Mes maigres promesses comme vous dites, ont certainement plus de valeurs que vous ne le soupçonnez. Mais je laisserai le cours de la conversation vous amener à cette conclusion. » Il se leva enfin et prit place contre le muret du balcon, admirant la manipulatrice qui se tenait devant lui. Il comprenait l'attrait indéniable de la cour pour pareille apparition.

Un sourire sincère se dessina sur ses lèvres alors qu'il passa à la suite. « Quant à l'audace, elle dessert autant qu'elle sert, parfois pile, parfois face. Mais n'y trouvons nous au final pas plus d'intérêt en jouant de la sorte ? Le quotidien est si morne parfois qu'il est bon de prendre des risques. » Nouvelle gorgée de la tasse qui était destinée à l'impétueuse vint terminer ce trait de philosophie. Balder reposa le breuvage sur la table basse et se rapprocha de la noble. Il lui ôta la tasse délicatement pour lui laisser les mains libres et celle ci rejoignit sa jumelle. D'un geste plein de galanterie il lui saisit la main et l’entraîna au bord du muret pour faire face à l'immensité du paysage de la capitale. « Voyez-vous dame Arnim, je ne prête aucun jugement à votre geste. Regardez cela, n'est-ce pas quelque chose qui en vaut la peine ? Je le pense sincèrement. Quand je regarde ces lanternes brillaient dans le noir adrestien je me dis que chaque âme ici bas mérite qu'on s'y intéresse. Toutes ont des choses à nous apprendre et il est nécessaire de les préserver. Pour eux, pour ceux de mon pays, je suis déterminé à trouver la meilleure voie. »

Livrer son regard sur le monde, être implicite, tendre une main en donnant l'impression d'offrir son bras. Autant de stratégie d'éloquence qu'il était nécessaire d'appliquer en s'adaptant à son interlocuteur. Balder avait contribué à ce que Gloucester ouvre ses portes à l'empire... Il n'était pas effrayé par une noble aux ambitions obscures, aussi brillantes soit-elle.

La lune avait d'ailleurs une résonance toute particulière avec l'enchanteresse, teintant sa peau nacrée d'une luminosité qui semblait toute adaptée à son allure froide et pourtant si réchauffante. Lorsqu'il la regardait, il voyait en elle tant de contradictions qu'il était difficile d'émettre un avis suffisamment définitif pour ouvrir les vannes de la confiance. Il ne parvenait pas à la mettre dans une case, lui qui pourtant était capable de juger les gens au premier regard. Plus que de la curiosité, il prenait conscience qu'il y avait une part d’inquiétude à l'origine de sa venue ici. Balder n'avait pas voulu se l'avouer, mais cette présence loin d'être explicable, éveillait en lui des soupçons qu'il était bien incapable d'effacer. Serait-elle un frein à ses ambitions ? « Dites-moi... Pourquoi avoir quitté le royaume ?  Que voyez-vous de si attirant lorsque votre regard ce porte sur ce qui se trouve devant nous ? » La réponse se faisait attendre...

L’émissaire lui abandonna le contrôle de sa tasse sans combattre, pour se tendre aussitôt et saisir la dernière qui se trouvait libre. Cornélia esquissa un sourire mental alors que le portrait de son interlocuteur gagnait encore en épaisseur. Son absence d’hésitation semblait signifier qu’aucune des tasses n’était empoisonnée ou pire encore, droguée et la manière dont il avait répondu…

Elle divisait généralement les individus entre 4 catégories basées sur les éléments primordiaux comme décrits par les auteurs de l’antiquité impériale. Le feu, pour les impétueux et les tempétueux, ceux qui s’offusquent d’une situation et y répondent ardemment. La terre, pour les stoïques et les têtus, ceux qui ne répondent pas aux sollicitations de leur environnement, attendant avec patience qu’il se plie à leurs exigences. L’air, pour les rusés et les fantasques, ceux qui n’hésitent pas à renverser l’échiquier pour changer les règles si elles ne sont plus à leur avantage. Et enfin…

Si l’arrogance et le goût pour l’éclat aurait d’abord pu désigner Balder comme un tempérament penchant vers le feu, sa manière de répondre calmement à sa prise de pouvoir sur sa tasse en se saisissant de l’autre démontrait une calme assurance et un talent d’adaptation, les qualités d’un natif de l’eau.

« Mes maigres promesses comme vous dites, ont certainement plus de valeurs que vous ne le soupçonnez. Mais je laisserai le cours de la conversation vous amener à cette conclusion. »

Encore cette assurance à la limite de la morgue. Elle se devait de le reconnaître pour ne pas en être victime, l’individu qui s’était introduit en ses appartements n’était pas sans intérêt. Il se redressait déjà, soucieux de ne pas lui laisser le contrôle de l’espace au cours de leur conversation et de profiter de sa taille supérieure pour la dominer du regard.

« Quant à l'audace, elle dessert autant qu'elle sert, parfois pile, parfois face. Mais n'y trouvons nous au final pas plus d'intérêt en jouant de la sorte ? Le quotidien est si morne parfois qu'il est bon de prendre des risques. »

Le sourire de la mage s’étira doucement, tandis que ses cils battaient à une vitesse accrûe. Lui faisant face, il conservait ses bras en obstacle entre eux, profitant de la position de la tasse. Un obstacle qu’il abandonna sur la table pour initier le premier contact et venir se saisir, galamment certes mais sans consentement de sa part, de sa main pour l’inviter à le rejoindre près du muret.

Le geste était audacieux, infiltré depuis quelques minutes à peine dans ses appartements, il osait la touchait, lui imposait sa volonté et le rythme de la conversation.

« Voyez-vous dame Arnim, je ne prête aucun jugement à votre geste. Regardez cela, n'est-ce pas quelque chose qui en vaut la peine ? Je le pense sincèrement. Quand je regarde ces lanternes brillaient dans le noir adrestien je me dis que chaque âme ici bas mérite qu'on s'y intéresse. Toutes ont des choses à nous apprendre et il est nécessaire de les préserver. Pour eux, pour ceux de mon pays, je suis déterminé à trouver la meilleure voie. »

Quel charmant tissu de mensonges… Cornélia le gratifia d’un nouveau sourire, conservant le contrôle de son visage, tout en lui insufflant juste ce qu’il fallait de décontraction pour laisser suggérer à son interlocuteur que malgré ses mots, ses manières ne la laissaient pas indifférentes.

Elle commençait à se faire une bonne idée de son interlocuteur ou du rôle qu’il entendait jouer. Elle ne parviendrait pas à le détourner de ses objectifs, il était trop obstiné pour cela. Un homme au tempérament fougueux aurait été plus facile à égarer, mais elle pouvait voir dans les yeux si proches de son interlocuteur qu’il était là pour une raison précise et n’entendait pas partir sans les réponses qu’il cherchait.

Cependant… plus difficile, ne signifiait pas impossible…

Soulevant sa poitrine d’une profonde inspiration, gonflant le tissu, elle se détourna de lui, sans toutefois quitter sa main.

« Dites-moi... Pourquoi avoir quitté le royaume ? Que voyez-vous de si attirant lorsque votre regard ce porte sur ce qui se trouve devant nous ? »

Elle lui avait donné à réfléchir avec le rôle de l’intrigante qui avait bataillé pour conserver le contrôle de la conversation, mais il était temps de changer de tactique et de lui offrir une autre mélodie, plus à même de lui laisser le beau rôle.


Toujours sans le regarder, elle referma sa prise sur sa main, douce, mais solide, comme à la recherche d’un secours réconfortant.


Enfin, elle se tourna vers lui, le masque de son visage comme brisé, laissant entrapercevoir la fragilité d’une femme épuisée en dessous. Elle se cramponnait à présent à sa main avec force, tournant vers lui un regard plein d’espoir.


Lui adressant un sourire empreint de tristesse, elle détourna les yeux pour les poser sur les jardins en contrebas, mais garda son corps dans la direction de l’émissaire.

Le contact de la main de la femme sur la sienne n'était pas désagréable. Sa peau douce avait quelque chose de réconfortant qui aurait largement pu séduire le diplomate. Néanmoins sa formation professionnelle lui permettait de se méfier de ce genre d'excès qui bien que charmeur, était souvent surjoué. Il garda donc son sang froid alors que les cœurs eux, faisaient mine de faussement se réchauffer. Balder se dit que dans d'autres circonstances son interlocutrice aurait pu être une conseillère de grande qualité capable d'obtenir ce qu'elle désirait en manipulant les plus puissants. Il était encore plus certain que la méfiance devait être le point d'orgue de leur relation bien qu'il dut se trouver bien bête de ne pas être insensible à toute cette mascarade. Bien décidé à jouer le jeu, il décida de rentrer dans le sien et fit mine de ne rien y voir. « La confiance se gagne... Et je crains de ne pas avoir assez de cette nuit pour que j'obtienne la votre. » Constat simple et évident. Jamais ce terme de confiance mutuelle n'existerait entre les deux adeptes de magie qui s'amusaient certainement beaucoup de cette farce. « Néanmoins je peux vous assurer que je ne vous nuirai pas. ». Alors que l'emprise de sa main se faisait plus forte, le curieux dut lui reconnaître un talent d'actrice inné.

Il décida donc de répondre à ce geste en gardant sa main froide dans la sienne en continuant de l'écouter parler. « Sachez dame Arnim que je n'ai pas la prétention de guérir votre cœur ou de soulager un fardeau. Je suis modestement et égoïstement à la recherche de réponses pouvant étancher ma soif. Si vous y voyez néanmoins un moyen de vous faire du bien, alors j'accepterai le rôle d'exutoire que vous me prêtez. » Son regard était aussi criant que celui d'un enfant qui attendrait qu'on lui offre ce qu'il désire depuis des jours. Bien que certainement feint, Balder se demanda l'espace d'un court instant si une part de vérité ne se dissimulait pas dans cette fausse attente d'un salvateur inespéré.

« Qu'entendez vous par une femme comme vous ? Vos paroles ne m'apportent pas de réponse mais bien d'autres questions. De là où je me tiens je perçois pourtant une femme puissante, ambitieuse et diablement intelligente. Votre réputation d'enchanteresse n'est plus à démontrer, qu'elle soit attribuée aux champs de batailles ou au cœur des hommes. Vous êtes courtisée, admirée et enviée. Quels fardeaux portez-vous qui puissent vous peser autant ? » Les flatteries faisaient partie intégrante d'un  dialogue rondement mené. De tout temps Balder avait du en user pour dérider des nobles un peu trop réfractaires aux demandes parfois aberrantes du diplomate. Rarement elles n'avaient pas permis de faire basculer les positions de force. Néanmoins il devait admettre en penser la majorité des mots dans le cas présent.

Ses derniers mots sonnèrent comme un aveu de faiblesse que camouflait un désir d'amener l'intrus à se confier sur les réelles raisons de sa venue. Il devait manœuvrer avec prudence et ne pas tomber dans le piège qui se dessinait subtilement devant lui. « Loin de moi l'idée de faire de vous un dommage collatéral. J'avoue que le besoin de réponse est bien ce qui m'a mené à votre porte. Mais je n'y voyais aucun autre intérêt que de constater par moi même si votre réputation n'était pas usurpée. » Continuant de tenir sa main dans la sienne, il lui renvoya la balle de son précédent jeu, montrant que lui aussi était un participant à ne pas sous estimer. Abaissant sa tête à son oreille il lui murmura les mots suivants si délicatement qu'ils auraient pu stopper le plus enragé des laguzs. « Donnez moi l'occasion d'apaiser vos tourments Cornélia. »

Se redressant doucement, le regard dans le sien il finit par afficher un sourire discret qu'on aurait presque pu qualifier de rictus. Fausse compassion, réel intérêt, il n'allait pas lui laisser l'occasion de prendre l'avantage.

Ils se tenaient l’un tout contre l’autre, aucun ne se regardant, mais échangeant à mi-voix des mots visant à piéger l’autre dans le doux piège de la confiance.

« La confiance se gagne... Et je crains de ne pas avoir assez de cette nuit pour que j'obtienne la votre. Néanmoins je peux vous assurer que je ne vous nuirai pas. »

Facile à déclarer, beaucoup moins à prouver. Encore une fois, il tentait d’esquiver la nécessité de prouver sa bonne fois, chose importante dans un nid de vipère, pour ne lui accorder que le bénéfice d’une croyance aveugle basée sur quelques mots.

« Sachez dame Arnim que je n'ai pas la prétention de guérir votre cœur ou de soulager un fardeau. Je suis modestement et égoïstement à la recherche de réponses pouvant étancher ma soif. Si vous y voyez néanmoins un moyen de vous faire du bien, alors j'accepterai le rôle d'exutoire que vous me prêtez. »

Cornélia soupira mentalement alors que son intérêt pour le jeune homme s’évanouissait au fil de ses mots. Il avait su l’attiser au début de l’entretien par son audace et son culot. Oser s’introduire dans ses quartiers et lui demander ainsi de but en blanc les raisons de sa trahison avaient quelques chose… de délicieusement transgressif, mais depuis il se mouvait certes avec adresse hors de ses pièges sans toutefois lui offrir un véritable intérêt à accéder à ses demandes.

« Qu'entendez vous par une femme comme vous ? Vos paroles ne m'apportent pas de réponse mais bien d'autres questions. De là où je me tiens je perçois pourtant une femme puissante, ambitieuse et diablement intelligente. Votre réputation d'enchanteresse n'est plus à démontrer, qu'elle soit attribuée aux champs de batailles ou au cœur des hommes. Vous êtes courtisée, admirée et enviée. Quels fardeaux portez-vous qui puissent vous peser autant ? »

Redressant la tête pour regarder celui qui la dominait par sa taille, elle planta son regard céruléen dans celui de son interlocuteur tout en laissant fleurir un sourire las sur ses lèvres.

« Loin de moi l'idée de faire de vous un dommage collatéral. J'avoue que le besoin de réponse est bien ce qui m'a mené à votre porte. Mais je n'y voyais aucun autre intérêt que de constater par moi-même si votre réputation n'était pas usurpée. »

Alors qu’il serrait sa main, elle se défila d’un geste doux, libérant sa prise dans un toucher caressant.

« Donnez moi l'occasion d'apaiser vos tourments Cornélia. »


Tendant la main, elle caressa sa joue d’un geste délicat avant de se détourner, les yeux légèrement embués. S’écartant de l’émissaire, elle fit deux pas pour prendre appui sur la table d’une main et continuer sans le regarder.


Se redressant, assurant sa mise et son port, elle entama sa marche en direction de sa chambre.

S’arrêtant sur le seuil, elle tourna de moitié la tête, comme soumise à la tentation de l’observer une dernière fois baigné par la lumière de la lune, mais s’y refusant finalement.

Chaque attention, chaque effleurement se laissaient savourer par l'un et l'autre des acteurs de cette scène si délicieusement travaillée. Néanmoins il semblait apparaître que Cornélia ne se laissait pas prendre au jeu. Balder n'avait pas su se montrer aussi convaincant qu'il l'aurait voulu et avait sous estimé les blessures cachées de son interlocutrice. Du moins c'est ce qu'il pensa alors que les événements ne jouaient clairement pas en sa faveur. Après tout il exigeait des réponses sans ne prêter aucune garantie. Qu'avait-il à lui offrir ? Il n'était pas question de divulguer ses lourds secrets à la première venue et encore moins à une femme aussi intelligente et manipulatrice qu'Arnim. Qui sait ce qu'aurait pu faire une personne de son acabit des révélations qu'il pouvait lui dévoiler... Pas question de se mettre à sa merci, et pourtant la nécessité de savoir sur quelle ligne se positionnait cette femme était primordiale.

Alors qu'elle semblait lui indiquer la porte, Balder décida de ne pas flancher et tenta de jouer carte sur table. « Pardonnez moi. » Il s'avança dans de légers et élégants pas vers la fugitive du soir et se tint derrière elle, proche de son dos, trop proche sans doute... « Je n'aurais pas du exiger de vous quelque chose que je ne peux vous offrir en retour. Mais le monde change. Il avance inexorablement dans des directions qui ne conviennent pas à tous. Je ne compte pas rester passif et ma position ne me l'autorisera pas. » Il ne parlait évidemment pas de son statut de diplomate mais pas question pour lui de développer sur ce terrain glissant.

Balder passa devant elle en la contournant pour se retrouver face à son visage dans un mouvement d'effleurement. Il garda néanmoins une distance innocente lorsqu'il se trouva face à l'enchanteresse. Il ne pouvait nier que bien qu'âgée de quelques années, tous les jeunes hommes de l'empire auraient pu déclencher des guerres pour ses faveurs. Bien que n'étant pas insensible à son charme, il essaya tant bien que mal de rester focaliser sur ses objectifs initiaux. « Votre parcours est atypique. Vous êtes toute à la fois intrigante et menaçante. Vous interrogez les esprits bien pensants par vos choix et vos actions. Il faudrait être stupide pour ne pas se méfier de vous mais plus encore de ne pas vous porter d'intérêt. Je voulais vous jauger, vous observer. Mais vous me laissez misérablement dans le flou. »

Le diplomate feint l'incompréhension pour lâcher du lest à sa partenaire du soir. Il voulait lui donner l'occasion de prendre les choses en mains en manœuvrant habilement pour ne pas se retrouver pris au dépourvu. Il se mit de dos, constituant un rempart naturel mais sommaire entre la mystérieuse et sa chambre. « Je ne suis peut être pas la personne que vous jugez apte pour vous épancher. Mais ne négligez pas l'importance de ma présence ici... Je vous le dis avec la plus grande bienveillance. Vous avez un côté presque fascinant qui me plonge dans un brouillard dont je ne saurais pas me débarrasser pour l'instant... Mais je vous prie de me donner l'occasion d'essayer... ».

Il observa encore un temps la majestueuse Cornélia qui semblait feindre d'être touchée par des pensées qui venaient s'immiscer dans la conversation. Ses yeux paraissaient s'être légèrement désembués bien que le jeune homme savait pertinemment qu'il marchait sur des œufs. Si sa dernière tentative de l'accrocher par l'honnêteté ne fonctionnait pas, il devrait se résoudre à prendre la porte en restant sur sa faim...

« Pardonnez moi. »

L’ambassadeur ne semblait pas vouloir comprendre quand son droit de visite arrivait à expiration. Quittant le balcon, il ne prit cependant pas le chemin de la sortie, mais celui de la chambre de la maîtresse des lieux, s’arrêtant derrière elle à moins qu’une portée de bras…

« Je n'aurais pas dû exiger de vous quelque chose que je ne peux vous offrir en retour. Mais le monde change. Il avance inexorablement dans des directions qui ne conviennent pas à tous. Je ne compte pas rester passif et ma position ne me l'autorisera pas. »

Tout à ses mots, il s’encouragea lui-même, glissant tout contre elle pour venir lui faire face. Un instant, la mage aurait pu s’amuser de ces gestes, jouer ce jeu, mais elle l’intérêt qu’elle avait accordé au jeune homme allait en s’amenuisant à vitesse grandissante alors qu’il ne semblait pas vouloir comprendre les signes.

« Votre parcours est atypique. Vous êtes toute à la fois intrigante et menaçante. Vous interrogez les esprits bien-pensants par vos choix et vos actions. Il faudrait être stupide pour ne pas se méfier de vous mais plus encore de ne pas vous porter d'intérêt. Je voulais vous jauger, vous observer. Mais vous me laissez misérablement dans le flou. »

S’écartant d’un pas, il vint faire obstacle de son corps entre le passage vers la chambre et sa propriétaire. Si ses mots étaient de miels, ses gestes eux se faisaient d’autant plus révélateurs sur ses intentions. La conversation devait aller dans le sens qu’il lui dicter et pas autrement, quitte à user d’autre chose que de sa rhétorique… Mais s’il voulait bouger, ils pouvaient être deux…

Accompagnant son recul, elle vint se coller contre lui, faisant assaut de son espace par ses charmes. Son parfum envahit rapidement l’environnement olfactif de l’intrus tandis qu’elle plantait le regard devenu froid de ses billes céruléennes dans celui de son interlocuteur.

« Je ne suis peut être pas la personne que vous jugez apte pour vous épancher. Mais ne négligez pas l'importance de ma présence ici... Je vous le dis avec la plus grande bienveillance. Vous avez un côté presque fascinant qui me plonge dans un brouillard dont je ne saurais pas me débarrasser pour l'instant... Mais je vous prie de me donner l'occasion d'essayer... »

Profitant d’une pause dans la diatribe inlassable du diplomate, elle apposa un index impérieux sur ses lèvres, venant les clore dans un geste dont la lascivité détromperait presque l’éclat carnassier de son regard.


Se hissant doucement sur la pointe des pieds, elle envahit le champ de vision de l’homme de ses charmes pour venir glisser sa bouche au creux de son oreille, son souffle chaud jouant contre son lobe.


S’écartant, doucement, un sourire languissant vint fleurir sur ses lèvres.

Le débat n'offrait aucune contestation possible. Cornélia n’était pas femme à se laisser manipuler et Balder n’aurait pas l’occasion d’en tirer quoique ce soit de nouveau. Sa visite pouvait être considérée comme un échec cuisant mais il préféra relativiser. Il avait ainsi pu constater la nature ambivalente de sa cible, pouvant user de charmes francs disparaissant à la moindre contrariété pour laisser planer quelques menaces bien senties. Le diplomate ne put retenir un rictus devant l’attitude de l'intéressée. Il lui avait en quelques sortes tendu la main, laissant ouvert une porte sur des confessions pouvant changer le monde. Elle n’avait su saisir l’occasion en ne lui laissant pas le temps de se confier sur ses secrets. Qu’il en soit ainsi… aussi influente et puissante soit elle, lorsque la vérité éclatera elle ne pourra que regretter cet instant. 

Il se détacha d’elle dans un soupir de lassitude et décida de ne plus lutter. « Je vais m’en aller. Je crois avoir mieux cerné ce qui vous caractérise. Sachez qu’il est plus que probable que nos routes se croisent prochainement. J’espère que vous aurez su prendre acte de ma démarche ce soir. On ne pourra pas dire que je ne vous ai pas tendu la main Cornélia… »

Il n’en fallut pas plus pour que le jeune homme prenne la direction de la porte. Avant de quitter la pièce pour de bon il prit néanmoins le temps de se retourner une dernière fois. « Ne vous avisez par contre plus jamais de me menacer. Ou c'est tout un pays que vous aurez contre vous. Ce n’est qu’un conseil que je vous prodigue en récompense de votre chaleureux accueil. À bientôt. »

La porte se referma dans un claquement et ce chapitre ouvert il y a quelques instants se clôturait déjà. Le regard fermé il décida de ne pas immédiatement regagner sa chambre, préférant vaquer à des occupations plus urgentes…