Quand elle y repense, Flèche se dit qu’elle aurait pu naître fille de rien. Ou, en tout cas, fille de pas grand-chose. Non pas qu’elle puisse prétendre avoir une place importante au sein des von Bergliez, mais sa situation aurait définitivement pu être pire si l’ancien Comte n’avait pas croisé le chemin de sa mère.

Courtisane cherchant à s’offrir une place dans la noblesse pour elle et son fils – un enfant imprévu, mais qu’elle voulait voir grandir dans un environnement prospère – elle attira bien vite le regard du Comte Bergliez de l’époque. Veuf d’une épouse avec qui le mariage avait été plus politique que sentimental, les charmes et la douceur de cette femme qui pourtant faisait courir des rumeurs parmi les gens de la cour eurent raison de lui. Il n’était qu’humain, un vieil homme à qui la tendresse physique et le langage de l’amour avait tant manqué dans sa vie. Mais elle ne lui était pas exclusive ; d’autres prétendants cherchaient à percer ses défenses dans l’espoir d’obtenir sa main pour les uns, ou d’en faire une concubine pour ceux ayant déjà la bague au doigt. Bien loin d’être déterré par ses rivaux, il continua ses visites auprès de cette maîtresse secrète – qui ne l’était pas tellement, mais qui oserait directement confronter le Ministre des Armées de l’Empire sur ce sujet ? Chaque fois qu’il venait, il avait toujours un cadeau pour le jeune Randolph, pour qui il se prenait de plus en plus d’affection.
D’une certaine manière, c’est grâce à Flèche que sa famille entra dans le monde de la noblesse.

Un jour lors d’une de ses visites habituelles, le Comte découvrit sa tendre amante dans une humeur anormale. Une ancienne « relation », qu’elle soupçonnait aussi être le père biologique de Randolph, était parvenu à la retrouver. Un sujet encore aujourd’hui difficile à aborder pour sa mère – et Flèche n’a jamais chercher à savoir son identité ; ses actions ce jour-là parlent pour eux-mêmes. Le Comte, qui l’aimait réellement et adorait son fils, la persuada alors de l’épouser pour assurer l’avenir de son aîné et du bébé à venir, et donner aux trois la sécurité qu’ils n’avaient pas dans leur situation actuelle. Elle accepta sans résistance ; seule, elle n’aurait pu subvenir aux besoins de sa famille, compte tenu qu’elle avait déjà des difficultés avec seulement une bouche à nourrir. Elle savait que le Comte veillerait sur ses enfants, le meilleur choix parmi tous les prétendants qu’elle avait amassé dans sa vie de courtisane.

Les noces firent énormément de bruits ; épouser une femme enceinte d’un autre, et une femme qui s’offrait à tant d’hommes par le passé qui plus est ! Cela ne dissuada pas le vieil homme qui accueilli ce bébé comme s’il avait été le sien ; l’année 1167, le 23 de la Lune de la Solitaire, naquit ainsi Flèche, petite sœur de Randolph et fille du Comte Bergliez par mariage.

Il était clair dans l’esprit de tous, autant au sein de la famille que dans l’entourage, que cette deuxième épouse s’attirait toutes les faveurs du Ministre des Armées. Si bien tant qu’elle le persuada de choisir Randolph, son beau-fils dont la position au sein de la famille était pourtant moindre, comme successeur. Mais en 1168, soit un an seulement après la naissance de la petite Flèche, la santé du vieil homme se dégrada rapidement. Cet imprévu vint perturber les plans des époux qui se retrouvèrent face à deux problèmes : premièrement, Randolph était encore trop jeune pour accéder au titre de Comte Bergliez, et par conséquent, trop jeune pour être Ministre. Il était inconcevable de laisser la place vacante jusqu’à ce qu’il soit en âge. Deuxièmement, la légitimité de ce fils par mariage, qui faisait déjà beaucoup parler, aurait pu remettre en cause cette succession et créer des conflits internes. Pour éviter ainsi tout problème, le Comte n’eut d’autre choix que de passer son titre à son fils aîné, qui était déjà père de ses propres enfants à ce moment-là. Le nouveau Comte installa sa famille dans la demeure principale, tandis que Flèche, son frère, sa mère et son beau-père se retirèrent dans une demeure secondaire des von Bergliez.

Flèche ne connut l’ancien Comte que très peu de temps. Dans ses plus lointains souvenirs, il était déjà fragile et très fatigué, mais tout de même souriant. Quand il était encore vivant, il leur arrivait parfois de visiter la belle-famille, même si les tensions étaient palpables ; le fils légitime gardait encore une certaine rancune vis-à-vis de ce favoritisme pour cette seconde épouse et le beau-fils bâtard. Flèche n’avait que faire de ces histoires de famille trop compliquées pour son très jeune âge ; elle était bien plus occupée à persuader ses neveux de jouer avec elle. Après la mort de son beau-père, à peine quelques années plus tard, les visites cessèrent. Les rares correspondances écrites restèrent le seul contact entre les deux branches de la famille. Flèche oublia petit à petit les visages de ses neveux, les seuls qui lui manquèrent un tant soit peu.

Tandis que Randolph suivit une formation pour entrer dans l’armée Adrestienne, Flèche poursuivit une éducation auprès d’un tuteur. Elle apprit les lettres, les chiffres, les bonnes conduites et les mœurs religieuses. Comme elle n’avait aucune position à prétendre, étant une fille sans aucun sang de von Bergliez dans les veines, sa mère espérait pouvoir la marier à un jeune noble, espérant ainsi offrir un bon statut à leur famille. Une vie mondaine et déjà toute tracée, en somme, pas désagréable mais qui l’ennuyait ferme. Tout bascula quand en 1181, quand Edelgard déclara la guerre contre l’Église de Seiros, remettant en cause le régime théocratique qui pesait sur tout Fòdlan et la rupture du continent en trois territoires distincts. Inspirée par la cause de la nouvelle Impératrice, Flèche vit là une opportunité pour servir son pays autrement qu’en étant une simple fille de noble ; elle s’en saisit en fin de l’an 1183, date où elle rejoignit son frère dans l’effort de guerre, Randolph ayant déjà combattu à Garreg Mach deux ans auparavant, et ce malgré les inquiétudes de sa mère. Cependant, son jeune âge et son inexpérience au combat l’obligea à rester en arrière ; elle dû donc se résoudre à s’occuper de l’administration de l’armée au lieu de prendre les armes.

Aujourd’hui, tout en prenant sa charge de travail très au sérieux, elle continue son entraînement dans l’espoir de prendre une part plus active à la guerre. Car elle le sait, ce pacte de non-agression ne signe pas la paix entre les différentes nations de Fòdlan. Une fois ce mystérieux ennemi neutralisé, le conflit reprendra. Et Flèche espère que quand ce jour viendra, elle se tiendra aux côtés de son frère sur le champ de bataille.

A peine un bout de femme et l’esprit déjà forgé par le chaos de la guerre, Flèche est loin de l’adolescente légère que son apparence inspire de prime abord. Sérieuse tant dans son travail que dans sa manière de faire les choses au quotidien, elle compte bien se rendre utile auprès de Sa Majesté autant que possible, ne serait-ce que pour soutenir l’effort de guerre. Jeune fille ordonnée, elle veut que tout soit à sa place et déteste qu’un imprévu vienne perturber son organisation. On la retrouve souvent à nettoyer derrière Randolph quand celui-ci oublie d’organiser ses affaires.

C’est d’ailleurs lui qui l’a inspiré à rejoindre l’armée d’Adrestia. Très proche de son grand frère, où il va, elle a tendance à le suivre. Qu’on ne s’y trompe pas : Flèche peut parfaitement se montrer indépendante. Mais ça la rassure toujours d’avoir un œil sur ses proches.

Quand bien même sa maturité est exemplaire pour son âge, elle garde une certaine naïveté qui fait qu’elle croit assez facilement ce qu’on raconte autour d’elle. Ainsi, son opinion peut souvent s’en retrouver biaisé par rapport à la réalité des choses, sans compter qu’elle a aussi tendance à voir le monde en noir et blanc. De ce fait, dès elle se fait une opinion de quelqu’un ou de quelque chose, il est difficile de lui faire changer d’avis, sauf peut-être après de très longues discussions. Elle pense aussi que tomber au combat est une mort honorable ; mais si ceux qu’elle aime sont emprisonnés ou torturés par l’ennemi, la jeune fille s’assurera que le perpétrateur soit puni, quitte à s’en charger elle-même. Quand son envie de vengeance gronde, il est peu probable de la raisonner.

Elle déteste qu’on ne la prenne pas au sérieux sous prétexte qu’elle est trop jeune ou inexpérimentée au combat. Si son rôle dans l’administration de l’armée ne lui déplaît pas, elle espère vite pouvoir prendre part à la guerre de façon plus active.