Lucrèce n’avait que peu dormi, cette nuit-là. Son sommeil avait été troublé de cauchemars dépourvus de sens, des scènes se jouant devant ses yeux par bribes, des images floues et confuses qui pourtant avait le don de la terroriser. La guerre, encore et toujours ; l’éternelle coupable. C’est l’air hagard et les traits un peu tirés que Lucrèce avait quitté le campement peu après midi, chargée de faire quelques courses dans un village voisin pour subvenir à quelques besoins d’urgence du campement qui ne pouvaient attendre. Elle s’était portée volontaire, lasse de l’ennui que procure la paix. Epuisée par la guerre, ennuyée par cette trêve qui n’en finissait pas, elle aurait parfois aimé parvenir à trouver un entre deux, un équilibre fragile mais parfait.

Lucrèce s’enfonça dans la forêt sans hésitation. Le trajet jusqu’au village étant relativement court, elle n’avait pas pris la peine de se faire accompagner de Svarand. Elle enchaînait un pas après l’autre sur le gel qui crissait légèrement sous ses pas ; la Lune des Etoiles marquait le début d’un hiver plutôt doux à Gloucester mais il n’en demeurait pas moins rude pour la nature. Frileuse, la jeune fille serra un peu plus les pans de son manteau contre elle dans l’espoir d’obtenir un peu de chaleur. Elle aurait qu’il soit là, qu’il soit resté auprès d’elle. Un souhait égoïste puisqu’elle réalisait bien l’impossibilité de sa réalisation. Ses mèches blondes, son étreinte chaleureuse, ses mains, le baiser sur son front. Elle se noyait dans les quelques souvenirs seulement qu’il lui avait laissé. Elle ne pensait plus à rien, elle ne pensait plus qu’à lui. Et presque naturellement, ses pas la conduisirent dans la mauvaise direction. Sans doute était-ce la force de l’habitude, ou encore son inconscient traumatisé, qui la menèrent en direction des champs de bataille où elle avait récupéré tant de corps brisés. Alors qu’il ne restait plus que quelques arbres à passer pour atteindre le lieu des conflits, une ombre surgit à côté d’elle et déroba son sac avant de fuir aussi vite qu’elle était apparue. Elle n’avait senti que le coup de vent occasionné par la créature véloce, elle n’avait rien vu.

Abasourdie, Lucrèce resta figée quelques secondes avant de réaliser ce qu’il s’était produit. On lui avait volé sa besace. La même besace qui contenait son unique moyen de défense et ses tomes de soin. Prise d’un accès de colère, elle s’élança à la poursuite de l’assaillant mais elle était moins rapide. Alors elle s’époumona en menaces pour essayer de troubler l’attention du voleur. « Croyez-moi, vous allez regretter ce que vous venez de faire. » Elle accéléra sa course jusqu’à débouler sur une plaine – l’une des nombreuses qui s’était abreuvée du sang des combats. Devant elle à quelques mètres, une créature étrange. Si elle en avait déjà entendu parler – en mal – elle n’avait jamais eu l’occasion de voir l’un de ces monstres de ces propres yeux. Un laguz, évidemment. C’était sans surprise qu’il s’agissait d’un voleur. « Rends-moi ma besace immédiatement, vile créature, » cria-t-elle à son intention. « De toute façon, murmura-t-elle pour elle-même, quand je t’aurai attrapée, je te remettrai aux autorités pour que tu croupisses dans une cage, c’est là que doivent être enfermées les bêtes comme toi. » Un soupir agacé et elle reprit la course. C’était sans compter les yeux jaunes qui observaient au couvert des arbres, prêts à bondir sur l’humaine bruyante et le félin furtif.