HISTOIRE
« Mais ! Qu’est-ce que c’est que cette chose ?! »
« Un petit dragon, on va le revendre cher ! »
« T’es pas bien ?! Et ses parents alors ? »
« Tu crois que j'ai causé avec les braconniers avant de le voler ?! Faut qu’on s’tire de là ! »
« T’es complétement malade de t’en être prit à des types pareils ! S’ils ravagent le secteur, ce sera de ta faute ! »
« Ferme là et fais s’agiter les chevaux, tu veux ! »
Lotho ne se souvient de rien d’avant sa vie auprès d’Iphigénie et Gontran. D’aussi loin que remontait ses mémoires, il avait toujours eu ce collier de métal accroché autour du coup, avait toujours dormi dans le double fond de la calèche et avait toujours eut à lutter contre la sensation de froid qui l’entourait une fois l’hiver venu.
Si Iphigénie tendait à le traiter comme un individu normal, Gontran s’affairait à ce que le contraire soit appliqué le plus possible. Lotho ne mangeait jamais avec eux – lorsqu’il mangeait – et n’obtenait que la bouillie informe de leurs restes. Pour autant, jamais l’enfant ne se plaignait, jamais il ne se posait de question quant à savoir pourquoi il était toujours enfermé, toujours maltraité. Toujours frappé. La voleuse le baptisa Lotho, par ailleurs. Peut-être par instinct maternel déviant, peut-être par paresse d’en chercher un autre.
« Je croyais que tu devais finir par le vendre. »
« J’ai d’autres plans, ce monstre nous servira à avoir beaucoup d’argent pour une maison, Iphi’, j’te promets ! »
On apprit à Lotho à se battre. Jusqu’à plus pouvoir, jusqu’à ce que son corps, alors chétif, se tatoues de cicatrices et de plaies s’infectant. Gontran le laissa un jour avec une blessure couverte d’asticots. Iphigénie fut la seule à balayer cette consigne idiote pour faire un bandage au jeune combattant qui avait déçu son maître une fois de plus ; une fois de trop. Pour ne pas changer.
Ses adversaires variaient. Tantôt des hommes à la tête brûlée par l’envie de vaincre une créature hors normes humaines ; tantôt des monstres à l’apparence lupine démesurée que des villageois souhaitaient voir éliminée. Car il est plus aisé de détruire ce que l’on ne comprend. Et le dragon était devenu chien de chasse des voyageurs, gardant sa muselière et son collier tant que Gontran n’en avait pas décidé autrement. Nombres d’ours et autres créatures périrent sous ses assauts. Il était perdu entre deux eaux, incapable de discerner le bien du mal, le vrai du faux.
« …Qu’est-ce que tu vends ?! »
« De la poudre de cornes de Dragon. Les nobles se l’arrache ! »
« Mais pourquoi ?! »
« Pour faire des aphrodisiaques, j’imagine… »
« Mais non ça je m’en fous ! Pourquoi tu fais ça ?! »
« Fais quoi ? »
« Lui limer les cornes ! Ça lui fait surement mal ! »
« Tu fais moins de sentiments quand on doit tuer une vache, Iphi’. »
« Sauf que la vache on la mange. »
« Oh, tu veux le manger ? »
« La ferme, tu me gaves. C’est la dernière fois que tu lui fais subir ça, tu m’entends ? »
« Mais... Et notre maison ? »
« Au diable cette foutue maison si elle dépend du sang d’un innocent ! »
« … T’as changé, Iphi’. »
« Toi aussi. »
Il en a passé, des soirées et des nuits couché sur le flan à se tenir la tête, serti d’un cerceau de douleur tout autour de son crâne. Gontran l’attachait avec fermeté lorsqu’il voulait limer les cornes qui dépassait de sa chevelure blanche. Tout était bon pour amasser de l’argent, pour fantasmer le futur.
Mais tout cela ne concernait pas Lotho. Il ne comprenait pas pourquoi cette partie de lui posait tant problème. Alors, un jour qu’Iphigénie s’occupait à refaire son bandage, il lui posa la question en toute brutalité des mots qu’il ne savait pas utiliser correctement, alors.
C’est avec un sourire étrange qu’Iphigénie lui avoua qu’il était né différent. Mais que ce n’était pas une tare. La Déesse l’avait voulu ainsi et il était très bien que les choses n’en soient pas autrement. Ce fut la première fois que Lotho entendit parler de la Déesse et de Sainte Seiros. Ce fut ce soir-là qu’il commença à nouer pour ces deux créatures une curiosité singulière. Iphigénie se fit un plaisir de l’y instruire.
« Nous vous accordons deux cent écus pour cette bête, en guise de dédommagement. »
« Prenez le… j’m’en fous de toute façon. »
« Un plaisir de faire affaire avec vous. Condoléances pour votre épouse et ce qu’il reste de votre carriole, j’imagine… »
« … »
Il avait simplement voulu la protéger. Ces nobles venus à cheval pour chasser dans les environs avaient jetés leur dévolu sur Iphigénie alors que Gontran était parti chercher de l’eau, au ruisseau. Il n’y avait qu’elle et Lotho alors. Sûrs de leur supériorité, ils ont tenté de l’attaquer, de la déposséder de ce qui faisait d’elle une femme.
Lotho s’était empressé de vouloir l’aider. Mais puisqu’il se remettait à peine d’un affrontement avec une petite meute de hyènes corrompues, il n’avait plus de griffes en bon état pour faire office de protecteur. Etait alors monté de sa gorge une rafale incontrôlable, laquelle vint rugir à l’air libre, profitant qu’il n’ait pas sa muselière sur le visage pour voguer à pleine puissance vers ses cibles. Qui furent épargnées par le souffle lugubre. Mais pas Iphigénie.
La suite se passa relativement vite. Les nobles, trop heureux d’avoir pu réchapper d’une mort certaine – ou de désagréments très prononcés -, se firent passer pour les bonnes âmes. L’opportunité était trop bonne pour la laisser passer. Alors ils achetèrent Lotho une poignée d’écus avant de l’emporter par la chaîne de son cou. Le laguz, épuisé, ne put rien faire de plus. Pas plus qu’il ne put crier à Gontran de courir lorsque les nobles envoyèrent leurs meutes de chiens féroces se repaître du pauvre homme fraîchement endeuillé.
Ils ne firent que tirer sur la chaîne en riant grassement. C’est qu’ils avaient à faire ; un enfant héritier de sa lignée, ça n’attendait pas.
« Voici un modeste présent de notre part, pour fêter votre anniversaire. »
Tous les enfants aiment la présence d’un animal de compagnie. Cette chose famélique n’avait qu’à servir d’amusement à l'enfant ; de toute façon vu son état, elle ne tiendrait pas longtemps en vie. Telle avait été la pensée de ceux qui avaient singé de dépenser de l’argent contre Lotho. Ils ne s’étaient probablement pas attendu à un tout autre virement.
Car puisque le dragon était alors en piteux état, c’est précisément ce qui fâcha l'enfant. Et la première étape par laquelle passa Lotho fut de prendre un bain. Le premier depuis une éternité. Le premier qu’il n’eut pas à prendre dans une rivière, la tête poussée sous la surface par Gontran. Ce fut une sensation aussi singulière qu’appréciable qui se grava dans son esprit alors.
Par la suite, ses cheveux furent coupés –terminée la longue tignasse emmêlée – et il reçut davantage de nourriture. Les creux de ses joues disparurent bien vite, amenant à une transformation impressionnante en l’espace de quelques mois seulement. Le Dragon s’était attaché à l’enfant avec une tendresse et une affection qu’on ne lui avait jamais laissé exprimer auparavant. Le moindre mot qui lui était adressé était un rayon de soleil, pour lui. Il accueillait chacun des vers avec une appréciation démontrée. Elle lui apprit à lire et à écrire, ce qui est encore aujourd’hui le plus beau cadeau qu’on ait pu lui faire. Et qu’il chérit sans réserve.
Cette fois, il en était sûr, il saurait protéger ce qui comptait vraiment. Il ne se tromperait pas comme avec Iphigénie.
Il aurait voulu y croire.
« Abattez cette bête immédiatement ! »
« Mais c’est le Dragon de … »
« Ne voyez-vous pas qu’il a essayé d'attaquer ?! Tuez-le sur le champ ! »
« Non, ce n’est pas moi qui… »
Carcasse ensanglantée, aile brisée et gorge inondée du vermeil.
Il avait simplement voulu la protéger. Lotho avait essayé de revêtir ses écailles pour retirer des griffes du mal l'enfant qu'il devait protéger. Des scélérats lui voulait du mal. Il ne savait pas qui ils étaient mais il ne voulait pas les laisser faire. Mais dans la cohue et l’agitation, sa tentative de protection fut perçue comme une attaque contre son ami.e. Il n’y eut pas de procès ; simplement du sang. Encore et toujours du sang.
Lorsqu’il émergea d’un sommeil sans repos, Lotho était dans une barque conduite par deux voyageurs. Couvert d’épais pansements de la tête aux pieds, il n’avait eu la vie sauve que parce que l'enfant avait acté en sa faveur. Le revers de cette médaille résidait au fait qu’il ne devait plus mettre un pied en ces terres-là. Il avait échoué, encore.
« Venez avec nous si vous ne savez pas où aller ! »
« Où ça ? »
« Au monastère de Garreg Mach. Je suis certaine que l’archevêque saura vous accueillir et que l’on vous trouvera un rôle à votre convenance ! »
Marie rentrait au Monastère avec ses amies prêtresses et avait pris le dragon en affection durant la soirée qu’ils avaient partagée autour d’un feu. Ne pouvant se résoudre à le laisser seul sur les routes, était née dans son imaginaire la possibilité que l’on puisse lui accorder la grâce de Seiros, lui qui semblait en être dévot – en toute mesure considérée.
Le voyage dura des jours durant et mena Lotho a Garreg Mach. Il prit soin des plantes de la serre du Monastère. Iphigénie, il y a longtemps de cela, lui avait montré comment faire pousser des graines et cet intérêt jamais n’avait fané. Il se donna alors corps et âme dans l'interêt de la serre du Monastère, accueilli par Rhea comme une personne à part entière. C'est également Marie qui lui fit don d'un nom de famille, qu'il porte encore aujourd'hui. Agunnaryd. Comme elle. Peut-être un jour saura-t-il la remercier convenablement.
« J’espère que ça va aller… Vous… Vous m’avez… Vous m’avez reconnu… ? Vous êtes là…pour moi… ? »
« Oui. Bernadetta. Et... Non.»
Là, par le plus grand des hasard et alors qu'il portait encore la muselière qu'il avait gardée de Gontran, son chemin croisa celui de Bernadetta. Son amie.
L'enfant.Grâce à elle, il s'ouvrit de nouveau au monde, petit à petit. Elle détruisit sa muselière et le visita régulièrement durant toute l'année scolaire 1180. Lorsqu'il pu accompagner les élèves des Aigles de Jais en mission, il le faisait, notamment pour aider Bernadetta.
Et lorsque l'Empire attaque en 1181, il suivit la jeune femme et ceux qui s'étaient rangés du côté de cette Edelgard. Lotho demeure neutre face à cette femme. Il ne nourrit pas grand intérêt pour elle. Mais puisque Bernadetta a décidée de la suivre, il fera de même, mettant sa force au service de l'Empire.
Il fut tout de même désolé pour Rhea et pour Garreg Mach.
Mais Bernadetta était infiniment plus importante pour lui que n'importe qui ou quoi d'autre.
Il rejoignit le champ de bataille et apprit à s'y déchaîner pendant les trois ans que durèrent les hostilités. Parfois s'improvisant monture pour sa précieuse amie, Lotho était majoritairement en retrait pour utiliser son souffle. Et pour protéger.
Il s'en voulut de ne pas avoir su garder de la mort celui qui aurait pu être le grand amour de la Varley.
Maintenant que la trêve a été signée, Lotho fait de son mieux pour ralentir le voyage vers le Comté de Varley puisqu'il devine bien les intentions du Comte - avec les années, il était devenu moins naïf, ce Laguz Dragon Rouge. Mais il protégera Bernadetta.Quoi qu'il advienne.
Et les sangs sur ses mains ne sont jamais qu'un peu plus de rouge. Il s'y est fait.
CARACTERE
En peu d’années auprès de ta tendre amie retrouvée, Lotho a fait des progrès à tous les niveaux. Autrefois peu loquace et aux mots butés sur sa trachée, s’il ne parle toujours que peu c’est simplement car il économise la façon de s’exprimer. Certaines phrases trop longues tendent à le faire tressaillir mais au moins n’a-t ’il plus autant de difficulté à parler avec autrui que lorsqu’il s’occupait de la serre de Garreg Mach.
Fini aussi son errance sur les routes, à s’éclipser des groupes après une nuit ou deux passées auprès d’eux. Désormais, Lotho est persuadé d’avoir fait le bon choix en choisissant l’Empire. De toute manière, puisque Bernadetta y est aussi, qui pourrait-il bien se passer de mal ?
Beaucoup pourrait croire que le Laguz ne vit que par et pour Bernadetta. C’était vrai au début de la guerre, mais depuis, il tend à s’émanciper de plus en plus, par à-coups. Il a comprit que rester toujours auprès de la jeune femme serait un frein au bonheur de cette dernière puisqu’il était bien trop souvent sur le qui-vive concernant les fréquentations de la violette.
Parmi les choses restées communes à celui qu’il était autrefois : le chant et la botanique.
Lotho sait comment prendre soin des plantes et en faire des onguents ou des crèmes utiles pour traiter des blessures ou des fièvres. Depuis que Bernadetta a quitté le champ de bataille, il n’aurait su être plus heureux que de partager l’une de ses passions avec elle. Il l’accompagne dans le processus d’apprentissage autant qu’elle a pu le faire pour lui apprendre à penser autrement que comme une simple bête.
Féroce mais pas cruel, si Lotho s’implique de toute sa personne pour défendre une cause, il n’en est pas moins sensible à la peine d’autrui. Et il chante, souvent. Pour expier ses fautes, pour que l’on se souvienne des combattants alliés comme ennemis. Pour que les âmes reposent en paix après les dures batailles livrées. Pour que la Déesse aie pitié d’eux tous, peut-être.
Certaines fois, il ne comprend même pas les paroles de ce qu’il récite, mais la mélodie est si prenante qu’il continue. Ces témoignages de son passé de bourlingueurs sont autant de preuves que les gens qu’il a croisé ont existés. Par le prisme de ses souvenir, il continuera donc de les honorer en quelques morceaux chantés.
Compétences;;Lotho ne se battra que peu. S’il a bien été contraint de se soumettre à cet exercice par le passé, ce n’était jamais d’une volonté propre d’être belliqueux.
Il fut entraîné des années durant afin de combattre dans ses joutes sordides, sanglantes. Pour le plaisir des hommes. Pour l’avarice de l’humain. Il maîtrise donc ses griffes et ses crocs de la manière la plus pure – quand bien même ses compétences resteraient à améliorer, lui qui ne se figure pas d’être un combattant émérite.
Les cicatrices qui recouvrent sa peau à bien des endroits attestent, témoins muets de ses batailles qu’il se devait de remporter. Pour la vie, tout simplement. Il ne pouvait compter que sur son instinct. Triompher pour ne pas sombrer.
En dépit de son arsenal offensif, Lotho est de ceux qui privilégieront la protection avant tout. Aussi mettre son ventre et les parties les moins cuirassées de son corps de dragon à l’abri des coups sera une priorité, pour lui. De même que devenir le bouclier de ses alliés ne sera pas une option négligeable. Il se fera armure mouvante pour ceux qu’il désire voir perdurer plus que tout. Qu’importe les blessures, qu’importe le sang versé. Il est habitué à renseigner la souffrance.
Son souffle lui a sauvé la mise plus d’une fois et continuera de le faire encore longtemps, sans doute aucun. Mais Lotho ne l’utilise que peu et préfère éviter d’y avoir recours, sauf cas extrême. C’est en partie pour cela qu’il conserve le masque – muselière dirait certains – qu’il a reçu lors de son séjour auprès des premiers humains l’ayant possédé. Cette arme de destruction, il l’a connu encore très mal. Il lui faudrait un peu plus de confiance en lui et en son sang pour lui ôter cette frayeur.