Sujet: Erudition théologique [Nelly Raja Windeler]   Sam 1 Mai - 14:51« La suffisance de l'expérience » de Gustav von Strauss, livre épais de 552 pages paru en 1098, couverture austère au possible, à savoir une typographie archaïque déjà rare à l’époque mais très apprécié par les académiciens du XIe siècle. Le style académique d’aujourd’hui n'est déjà pas des plus accessibles, mais celui de cette époque demande un réel investissement intellectuel afin de passer outre les tournures de phrases bien alambiquées.
Je ne regrette cependant pas de l'avoir emprunté à la bibliothèque du village des saints - même si j'ai dû revenir quelques jours plus tard afin de quérir un dictionnaire - le sujet a été peu abordé et est diablement intéressant à savoir la place de l'expérience dans notre société.
Von Strauss aborde le sujet sous toutes ses coutures, autant sur un aspect historique, qu'anthropologique, que sociologique, que philosophique, que théologique, et même de son utilisation dans la rhétorique !
Hier soir, j'ai enfin terminé ce satané bouquin ! Je me suis réveillé ce matin en découvrant que je n'eus même pas la force de me traîner jusqu'à mon lit. Avoir le nez dans les bouquins prend ici un sens littéral.
Je me suis levé, pris l’ouvrage dans l'optique de le rendre à la bibliothèque ainsi que le dictionnaire en espérant ce coup-ci m'investir dans une lecture plus légère et moins chronophage.

Je quitte donc ma très modeste demeure, un bureau, une bibliothèque personnelle et un lit, je n'ai besoin de guère plus si ce n'est l'assurance que le coffre au pied de ma paillasse soit le plus inaccessible possible.
Je sors enfin de chez moi, je suis actuellement en pause au village des saints depuis plusieurs semaines avec quelques confrères. Nous suivons un entraînement militaire et nous aidons la garde à patrouiller aux alentours, les bandits sont légion depuis quelques mois.
J'ai peut-être accordé un peu trop d'importance à cet écrit, je n'ai fait qu'accomplir mon devoir et lire ces quatre dernières semaines. Bref, je me dirige vers la bibliothèque, un fort joli bâtiment si vous voulez mon avis.
L'entrée est en arche et les couleurs froides, aucune fantaisie n'émane de ce lieu, une aura d'austérité intellectuelle s'en dégage lui donnant un charme tout particulier. Il faut dire que le bâtiment s'est probablement inspiré du style des monastères de campagne, connu pour être assez rudimentaire pour ce qui est de l'architecture ne décorant aucunement la pierre par manque de temps, d'argent et de main d’œuvre.
On pouvait voir de l'extérieur les très nombreuses fenêtres que possédait le bâtiment. Je me plaisais parfois à lever le nez de mes épaisses lectures pour admirer l'extérieur, je me laissais alors à la rêverie au travers de ces ajours un peu plus sophistiquées que le reste de la bâtisse. Les lucarnes étaient toutes entourées d'un bois d'une rare qualité dont les coins se terminaient en croix, comme pour rappeler l'appartenance religieuse de l'édifice.

Après quelques secondes à contempler l'architecture, je rentre à l'intérieur, de très nombreuses rangées d'étagères remplies s'offraient alors devant moi. Presque tout était dans un bois de grande qualité étincelant, je peux jurer que même la royauté ne rechignerait pas à manger à même le sol... Du moins, sur un plan hygiénique.
On doit cet entretien d'une rigueur absolument admirable au gardien des lieux qui trône à un petit bureau à la droite de l'entrée. Un homme dans la cinquantaine, peut-être la soixantaine me regarde fixement comme s’il me défait de venir lui parler.
Barbe et moustache proéminentes blanchies par le temps, un visage bien ridé accueillant un sourire rare, un nez aquilin, des sourcils toujours froncés qui embellissent son regard d'émeraude et enfin, un front élargi par la calvitie se terminant par quelques rares cheveux à l'arrière du crâne.
Je fais un pas dans sa direction, les deux épais ouvrages dans chaque main et lance :


« Bonjour Monsieur, je viens rendre « La suffisance de l'expérience » par Gustav von Strauss ainsi qu'un dictionnaire expliquant les mots et les tournures de phrases académiques du Xe au XIIe siècle. »

Il consigne ces informations dans un petit calepin avant de m’adresser un petit geste signifiant que je dois remettre à sa place les livres que j'ai emprunté. Fort heureusement, je me souviens exactement dans quelle section j'avais trouvé ce manuscrit dans ce dédale étalé sur deux étages que peut-être ce lieu de savoir !
Je dépose le dictionnaire dans la section appropriée au rez-de-chaussée. Rayon assez proche de l'entrée, car probablement la section la plus demandée avec les romans et autres lectures de divertissement occupant la majeure partie de l’étage.
J’emprunte maintenant l'escalier afin de me diriger vers le premier étage accueillant les ouvrages moins faciles d’accès et par conséquent, moins demandés.
J'observe quelques secondes le plus grand vitrail de l’édifice faisant office de fenêtre principale. Les couleurs sont chaudes contrairement au reste de la bâtisse, la lumière y pénétrant arbore mille couleurs donnant la sensation d'être illuminé par la divinité elle-même. Une représentation tétraédrique de la déesse figure sur le gemmail, elle est magnifique et m’apaise à chaque fois que je l'observe. Je serais bien resté ici à l'observer plusieurs minutes si je n'étais pas en train de bloquer le passage dans l'escalier. Hélas, c'est le meilleur point de vue que l'on puisse avoir, un défaut n'ayant pas été pris en compte par les architectes.
J'arrive enfin à l'étage, très vide comme à l'accoutumé, il n'y a qu'une personne visible, une fille aux cheveux d'or et aux yeux de saphir qui semble beaucoup hésiter à choisir un livre. Je me dirige vers la section dédiée qui se trouvait être dans la même allée que la jeune fille. Attirait par le mouvement, elle se tourna vers moi. Je la salue par pure politesse d'un geste de la tête qu'elle me rend, et alors que je m'attelais à ranger cet épais savoir dans l’orifice approprié, une voix angélique s'adressa à moi.


HRP:

Spoiler:

Sujet: Re: Erudition théologique [Nelly Raja Windeler]   Lun 3 Mai - 11:39Je fus surpris que l'on m'adressât la parole. À l’accoutumé, ceux qui fréquentent l'étage sont des érudits un peu misanthrope qui ont passé davantage de temps à feuilleter qu'à discuter.
Je crois d'ailleurs que c'est la première fois que j'entends une voix au second étage, comme si celui-ci n'était fréquenté que par des moines ayant fait vœu de silence chassant les fantômes d'un passé depuis bien longtemps révolu au nom du savoir.

Je regarde quelques secondes de plus mon interlocutrice. Si j'en crois l'ouvrage que je m'apprête à poser, sa jeunesse peut traduire un manque d'expérience et donc une plus forte extraversion qu'un vétéran, recherchant le savoir auprès de ses aînés afin de les rattraper et de jouir à son tour de la position sociale avantageuse qu'est celle du vétéran faisant autorité auprès des profanes et des jeunes recrues.
Je trouvais la théorie de von Strauss incomplète, mais dans ce cas-là, il se pourrait que cette théorie s'avère...Attends une minute, il y a quelque chose qui cloche, je ne suis pas un vétéran, je n'ai que 23 ans !

Bref, cela fait déjà une poignée de secondes que la question fut posée, je me concentre donc enfin pour imaginer ma réponse. Chaque fois que je suis au village des Saints, j'emprunte des livres et fréquente cette bibliothèque.
Je fais ça depuis 3 années, j'ai dû emprunter des dizaines de manuscrits traitant à chaque fois de sujets de niche qui, pour le commun des mortels, est une plaie à lire et à comprendre. Je suppose que je rentre dans la catégorie des habitués.

Je me tourne dans sa direction et réponds alors du ton le plus doux et serviable à ma disposition :

« Je le suis. Que puis-je faire pour vous mademoiselle ? »

Aurais-je dû l'appeler mademoiselle ou madame ? La tutoyer ou la vouvoyer ? Mon éducation me poussait à adopter mademoiselle pour une jeune pousse, madame pour quelqu'un d'un peu plus âgée et le vouvoiement dans presque toutes les circonstances. J'espère juste ne pas me faire reprendre, car promis a, je ne sais quel petit noble local, ce serait assez indélicat de ma part.
Serais-je aussi capable de répondre à sa question ? Je viens de me rendre compte que je répondais actuellement à l'un des archétypes de von Strauss, celui du « pressé ». Le pressé désigne « une jeune personne cherchant à se substituer à une figure d'autorité dans un environnement local. Le pressé a souvent déjà acquit un savoir considérable dans un domaine bien précis si on prend en compte son jeune âge, mais toujours en-deçà des vétérans. Il est hélas déjà suffisant et ses réactions quant à la possibilité de se tromper vont du simple déni, à l'euphémisme, à l'anxiété [...] ».

Je me retourne quelques instants pour enfin rentrer le bouquin dans l'emplacement dédié...Je sens que ses pages vont me hanter pendant des années. Serait-ce le prix à payer pour accéder à la sagacité ? Une complexification presque maladive du monde, des rapports sociaux, de la moralité, etc ?
Je coupe à nouveau mon fil de pensée pour m'orienter à nouveau vers cette jeune fille, orienter son corps en direction de votre interlocuteur est une marque de respect et montre que vous êtes enclin à l'écouter.

Sujet: Re: Erudition théologique [Nelly Raja Windeler]   Mar 18 Mai - 22:34La stratégie militaire et la diplomatie ? Tout soldat se doit d'au moins connaître les fondements de la tactique afin de répondre au moins aux attentes de sa hiérarchie...du moins en théorie, en effet en période de crise, on enrôle à tour de bras et forme à la va-vite les jeunes recrues. Ainsi on oublie la stratégie pour former de la chair à canon qui fera office de première ligne peu coûteuse.
J’eus quand même réussi à forcer la main à mon responsable de formation afin d’obtenir le titre de l’ouvrage usuellement enseigné, lui assurant de me débrouiller quant à la lecture de celui-ci quand bien même le langage soit soutenu et relativement archaïque.
Un soldat sachant lire est chose très rare de ce que j’ai compris, cette lecture étant davantage destiné aux fils et filles d’aristocrates qui siégeaient autrefois sur les bancs du monastère. Je pourrais lui conseiller ledit classique portant le sobre nom de : « Bases de la stratégie militaire » par le Général Eberhart paru il y a plusieurs siècles...mais en ayant continué mon apprentissage du sujet, j’eus découvert des ouvrages plus complets et accessibles.

Je réfléchis deux bonnes minutes avant de répondre à la jeune fille :

« Si vous vous intéressez principalement à la tactique militaire, je vous conseille « Analyse approfondie des 20 plus grandes batailles de notre Histoire ! » de l’historien Vogt. Le bouquin est très épais, mais il a l’avantage d’être moderne et donc accessible. Je pense que le titre est assez explicite, mais croyez-moi quand je vous assure que Vogt aborde des notions très poussées des manœuvres militaires de manière didactique. Si c’est la stratégie militaire qui vous intéresse, « En amont de la guerre » par…hum je ne retrouve plus le nom de l’auteur mais je suis sûr que le bibliothécaire le connait. Quoiqu’il en soit, il s’agit aussi d’une œuvre moderne portant sur l’organisation économique et logistique qu’il est nécessaire d’adopter lorsqu’on est en guerre ainsi que quelques stratégies pour diminuer les forces ennemies avant que les batailles ne commencent. Avec ça, vous aurez déjà une excellente base de connaissance sur le sujet même si vous aurez au total peut être un peu plus d’un millier de page à lire. »

Je remarque sur le visage doux de mon interlocutrice une moue circonspecte, il est vrai que je l’ai un peu noyé sous les informations, je reprends donc un point afin de clarifier mon propos :

« La tactique désigne l’instantané tandis que la stratégie désigne la planification, privilégiez Vogt et la tactique si vous désirez mieux comprendre le dérouler d’une bataille, sinon privilégiez…Seneca il me semble (enfin !) si vous désirez plutôt comprendre comment on administre le pays lorsque l’on entre en guerre. »

J’avais enfin retrouvé le nom de cet auteur (autrice en l’occurrence), pourtant, je n’avais pas lu tant que ça je devrais donc pouvoir me souvenir de chaque titre et auteur dont j’ai parcouru les écrits.
La fille aux yeux océans semble arborer un visage un peu plus apaisé, ai-je réussi à bien synthétiser mon propos ou a-t-elle abandonné ? Je vais partir du postulat que nous sommes dans le premier scénario.
Il me restait cependant une demande à traiter sur un sujet que j’ai beaucoup moins travaillé, la diplomatie. Je suis donc contraint de lui citer un classique mon répertoire étant bien plus limité. J’espère juste qu’elle ne le connaît pas ou du moins, que de nom.

Avec un ton beaucoup plus indécis, je me lance trois bonnes minutes après ma dernière prise de parole :

« Pour ce qui est de la diplomatie…ce n’est hélas pas vraiment de mon ressort cependant, avez-vous déjà lu « Comment n’être entouré que par des alliés ? » de…bon, celui-ci à un nom trop compliqué pour que je puisse m‘en souvenir je le crains mais étant un classique, le bibliothécaire connaîtra forcément l’auteur. Je trouve l’analyse un peu utopiste sur certains points, mais ce n’est ici que mon avis, et selon beaucoup, toute personne traitant de près ou de loin la diplomatie se doit d’en connaître le contenu. »

J’avais enfin fini de me triturer la tête à la recherche de titres ! Une minute de plus et la migraine m’aurait gagné ! Le temps que cette fille digère les informations, j’en profite pour récupérer un peu du sang-froid que j’ai perdu, il n’y a rien de plus énervant que d’avoir un nom sur la langue refusant de sortir de votre mémoire.
Mon esprit retrouve rapidement sa sérénité habituelle, la pluie qui commence à tomber dehors y contribue largement. Une météo déchaînant les éléments, semblable à un décor cataclysmique lorsque l’on est dehors, et semblable à une berceuse lorsque l’on est au chaud à l’intérieur. Quel délicieux paradoxe…

Sujet: Re: Erudition théologique [Nelly Raja Windeler]   Mer 2 Juin - 17:41« Un point de vue intéressant, mais la vulgarisation à tendance à former des opinions manichéennes. » pensai-je lors de sa réflexion. Certes, grâce à mon tuteur j'eus pris l'habitude de me plonger dans des ouvrages à la mise en forme peu attrayante et aux réflexions parfois bien occultes, mais est ce que tout le monde serait capable d'une telle démarche ? Pour moi, il ne s'agit ici que d'un manque de volonté et de rigueur. Le savoir ne s'offre pas à nous de lui-même, il faut aller le quérir et ce, même si les grands penseurs font l'effort de devenir auteur afin de nous transmettre le résultat de leurs réflexions.

A l'écoute de sa dernière réplique, je rougis l'espace de quelques secondes avant de reprendre mon visage placide habituel. Je n'ai vraiment pas l'habitude de recevoir des louanges, surtout depuis que je suis militaire. Cependant, ce qui me gêne le plus c'est que je ne suis pas digne de ce compliment. Je m'exprime alors sans réussir à cacher ma gêne :

« Je crains que vous ne surestimiez grandement mes compétences Mademoiselle, je ne suis pas érudit juste un...curieux de nature. Je ne suis à l'affût qu'en matière de théologie et de stratégie militaire je le crains, le reste ne sont que des connaissances éparses que vous pourriez dépasser facilement en une poignée de jours, avec de la volonté. »

Aurais-je fait preuve de suffisance intellectuelle lors de cette discussion pour lui donner l'impression d'être hautement cultivé ? Que Sothis me pardonne, je ne voulais me montrer prétentieux en faisant l’étalage de mes quelques lectures. Mes intentions étaient pures, je le promets ! Pourtant, je sentis tout au long de la discussion un sentiment étrange qui me mettait secrètement mal à l'aise...serait-ce l’émergence du péché d’orgueil ?
Je suis maintenant tiraillé entre mon envie d’aider cette personne, et la peur de m’enorgueillir de la situation comme le décrit si bien Von Strauss.
Je commence à paniquer, je ne sais si cela se voit. Il va falloir que je trouve une réponse à donner et vite ! Que pourrais-je faire pour éviter de devenir arrogant ? Tout bon croyant se doit de savoir qu’il n’est rien face à la déesse et à ses représentants. Être humble est un devoir au même titre que prier. Que pourrais-je faire ? Une idée, vite ! Gagne du temps dans le pire des cas !
Alors que mon cerveau est en ébullition, mes cordes vocales se meuvent d’elles-mêmes trahissant ma grande hésitation :

« Je…J’accepte néanmoins bien entendu de répondre à vos questions. Cependant, pour des réponses plus pertinentes, vous devriez consulter… »

Je marque un silence assez perturbant. Comment diable as-tu arriver aussi rapidement à une impasse ? Tu devais gagner du temps, pas perturber davantage ton processus mental bougre d’idiot ! Donne une réponse bancale au pire. Une autre réflexion prend le pas : non, tu dois répondre du mieux que tu le puisses à toutes les demandes qui te sont formulés. Comment pourrais-tu prétendre être pieux si tu traites les choses par-dessus la jambe. Un peu de cœur à l’ouvrage bon sang !
Soudain, la réflexion libératrice se fit : pour ne pas commettre le péché de suffisance, tu dois par la suite t’humilier aux yeux de la Très-Grande, afin de prouver ton dévouement et ton humilité, pour ce faire, une simple séance de méditation où tu contempleras la futilité de ton existence. Tu as donc trouvé une solution pour ce problème là…et maintenant pour la suite de ta phrase ? Cela fait déjà un trop long moment qu’elle se fait attendre. Je crois à nouveau entrapercevoir une porte de sortie :

« …des professeurs ou tout autre érudit, si vous fréquentez souvent cette bibliothèque et le second étage, peut-être auriez-vous la chance de croiser un ancien professeur du Monastère ou un quelconque cerveau faisant loi dans son domaine ? »

C’était un peu long, mais je m’en suis sorti avec une plutôt belle pirouette. Mon cœur reprend un rythme normal, et mes traits faciaux se détendent. Aurais-je fait un pas de plus en direction de la piété ? Peut-être, j'espère néanmoins que ce genre de situation ne se reproduira pas trop souvent au risque de me faire mourir d'un arrêt cardiaque au début de ma trentaine...

Sujet: Re: Erudition théologique [Nelly Raja Windeler]