Fhirdiad la belle. Son nouveau terrain de jeu. Voilà plus d'un an que la jeune Kessara était arrivée dans la capitale du Saint Royaume. Passage obligatoire pour toute personne souhaitant maîtriser les arts magiques. Si ses débuts à l'Académie s'étaient soldés par un échec, l'enfant s'était jurée de ne plus jamais retomber aussi bas. Créature timide et froide décidant de s'ouvrir au reste du monde. Faire semblant suffisamment longtemps pour faire du bonheur une habitude. Résultat immédiat. Les autres étaient des outils, eux aussi. Il fallait les utiliser. Ou les aimer. Dans les deux cas, ils permettaient de s'élever toujours plus haut. L'élève devait se battre, à tout instant de la journée, pour prouver qu'elle était exceptionnelle. N'était-ce pas seulement pour ça, que son mécène avait accepté de la prendre sous son aile ? Briller, et le faire briller d'un même mouvement. Aucune envie de le décevoir. Non pas parce qu'elle tenait à lui, mais tout simplement parce que son avenir, pour le moment, dépendait de sa satisfaction. Lui seul payait ses frais de scolarité. Lui seul lui permettait de s'instruire, d'écraser tous ses petits concurrents. Alors elle se donnait, corps et âme. Pour son protecteur. Mais pour elle, surtout. Le monde serait à elle, un jour.

Journée comme les autres, à étudier, se tuer à la tâche. L'après-midi libre, pour une fois, Kessara avait décidé de se rendre chez l'une de ses amies. Non pas pour s'amuser, mais découvrir son incroyable bibliothèque. Aucun temps à perdre. Qu'il était injuste, que ces biens nés disposent du monde entier simplement parce que leur sang... parce que leur sang quoi, au juste ? Était plus pur ? Plus bleu ? Des génies, il y en avait dans toutes les couches de la société. Mais les pauvres gens ne disposaient jamais des opportunités nécessaires pour s'imposer. Chanceuse, dans sa misère. Il fallait en profiter. Les heures passèrent. Nez fourré dans divers grimoires, ne voyant pas le temps passer. Ce fût quand les rayons du soleil apportèrent une teinte orange à tout son univers, que la magicienne revint enfin à la réalité. Il était tard. Si tard. Il fallait qu'elle rentre au dortoir, si possible avant la nuit tombée. Le couvre-feu l'indifférait, mais elle savait les rues de la cité dangereuse. Aucune envie de se faire détrousser, ou découper, parce qu'elle s'était attardée bêtement sur un ouvrage de trop. Alors elle fila, aussi vite qu'elle le pouvait, ne se doutant pas que cette si belle soirée lui réservait une surprise de taille. Au détour d'une rue, elle le croiserait lui.

Pas l’entraînant de ruelle en ruelle. Rythme soutenu, pour s'échapper le plus vite possible de ces coins perdus de la capitale. Inquiétude non pas motivée par la peur, mais plutôt par l'agacement. L'enfant donnait peu de cachet à sa propre vie. A sa survie. Si elle devait souffrir, périr, soit. Mais perdre du temps l'énervait au plus haut point. Aucune envie d'être bloquée toute la nuit par les appétits voraces d'abrutis. Fût un temps, elle avait été l'une d'entre eux. Âme en peine vivant pour le dérangement. Ces années noires étaient bien loin derrière elle. Toute son existence transformée par le soutien indéfectible de son mécène. Pour rien au monde elle n'aurait aimé se trouver de nouveau en ce bas monde, cruel et sournois. Chaque minute écoulée laissait les ombres envahir un peu plus les alentours. La nuit tomberait pleinement, bientôt. Un précieux ouvrage niché contre sa poitrine inexistante, Kessara continua à s'élancer au travers des rues malfamées. Silhouette tout juste perceptible, tant elle se déplaçait rapidement. Pourtant, son parcours fût brutalement mis sous arrêt par une voix... plus que familière. Qui l'appelait. Kessara. Il la connaissait. Qui était-ce ? Curiosité maladive l'empêchant de continuer sa route. Obligée de s'arrêter, de découvrir le joli minois de celui qui l’interpellait.

Quelle surprise, de tomber nez à nez sur un visage qu'elle appréciait tant. Chevelure de feu. Traits ô si agréables. Mistral. Son ami. Celui qui avait été, pendant de longues années, son seul ami aux confins de Faerghus. - Mistral ? Réponse bête sous forme de question. Incapable de dissimuler son étonnement. Pas encore suffisamment éclairée pour porter en tout temps son masque. Coeur inondé de bonheur, en observant cette silhouette si familière. L'une des seules personnes qu'elle appréciait, sincèrement. Quand elle n'était encore qu'une enfant sauvage, lui seul avait été en mesure de la faire rire, sourire. Il lui avait offert un soupçon d'affection, toute sa dévotion. Si aujourd'hui la Kessara asociale n'était plus, jamais elle n'oublierait tout ce qu'il avait fait. - Qu'est-ce que tu fais là ? Tu travailles ici maintenant ? Tu as... changé. De nombreuses questions la taraudaient. Si le visage restait le même, tout le reste semblait... différent. Plus vieux. Plus viril. Plus puissant. Malgré elle, la demoiselle ne put réprimer un sourire radieux. Reflet de son cœur. Voilà bien des lunes qu'elle ne s'était pas sentie ainsi comblée. - Plus que tout, comment vas-tu ? Je ne pensais pas te retrouver ici. Je... Je suis si contente.

Fantôme du passé aux traits si agréables. Le seul ami. Lors de ces réceptions perdus dans les contreforts du Saint Royaume, tout du moins. Deux bâtards rejetés par ce monde qui leur revenait de droit. Origines méconnues pour l'une, jamais énoncées pour l'autre. La roue finirait par tourner. Tous s'inclineraient devant eux, un jour. Forcément, le revoir après tout ce temps emplissait son cœur de joie. Peu de personne comptait, dans sa morne vie. Mais lui comptait. Plus que tout. Kessara était incapable de museler son bonheur. Sourire arrogant qui ne parvenait pas à s'effacer de son visage. Surprise non feinte, alors qu'il révélait faire désormais parti de l'armée. Profession dangereuse. Le forçant à jouer de sa vie. La magicienne était peut-être jeune, mais elle le savait. La guerre n'était jamais très loin. - L'armée ? Vraiment ? Je... Félicitations ? Inquiète, désormais, pour l'avenir de son ami. Ça aussi, elle ne pouvait le dissimuler. Elle qui était habituellement si habile, si froide, se décomposait face à lui. Elle en avait pleinement conscience alors... autant formuler cette angoisse qui avait envahi son cœur. - Fais attention à toi, s'il te plaît. Aucune envie de te voir dépérir. Mais tu es fort, non ? Personne ne pourra te vaincre ? Innocence refaisant surface un instant. Juste un instant. Tout juste une adolescente. L'âme d'enfant dissimulée derrière l'horreur.

Joues rosissant légèrement, lorsqu'il lui avoue qu'elle lui avait manqué. Relation purement platonique et pourtant, cela lui faisait chaud au cœur d'entendre de telles louanges. Elle restait humaine, en dépit de tout. - J'étudie à l'Académie de Magie. Je ne t'ai pas prévenu, moi non plus. Nous sommes tous les deux en faute, alors contentons nous d'oublier tout cela. La nuit s'invitait de plus en plus dans la capitale. Le froid aussi. Resserrant instinctivement sa fourrure, Kessara se rapprocha de son interlocuteur. - Si tu es assigné à Fhirdiad alors... On pourra se revoir. Peut-être même plus qu'avant. A quelle caserne te trouves tu ? Seule bonne nouvelle de la journée. Elle était en retard, la matrone s'occupant des étudiants devant d'ores et déjà s'égosiller dans tous les sens. Mais tout cela n'avait aucune importance. Qu'importe, qu'elle rentre des heures après son couvre feu. Seul Mistral comptait. - Tu te rendais peut-être quelque part ? Je ne veux pas chambouler tous tes plans mais... Hésitation, le regard se détournant comme pour signifier une pointe de malaise. - Rester un peu plus longtemps avec toi me ferait plaisir. Maintenant qu'il était là, devant elle, elle comptait bien profiter de sa présence. Rien ne lui garantissait qu'il reviendrait la trouver. Ni demain. Ni jamais.