HISTOIRE
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Succédant à un demi-frère, bâtard de son état, Cassandra est née pour réunir. Pour réconcilier une union battant de l’aile. Si ce mariage périclite, c’est tout une lignée qui risquait fort de disparaitre.
Alors, après les foudres et les orages, on décide de se donner une ultime chance : un enfant légitime.
La petite naît neuf mois plus tard mais l’espérance n’est pas vraiment au rendez-vous. On aurait quand même préféré un garçon, pas une dot à dégager des finances fragiles de la famille vouée à l’impérialisme. Les deux parents, quant à eux, ne se sont pas vraiment rapprocher non plus au cours de la grossesse.
C’est un échec qui continuera de résonner des années plus tard.
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Petite, Cassandra se révèle déjà aventureuse. Elle cavale sans cesse – ou essaie, du moins. Lewis est un garçon qui vit auprès de ses proches et il intrigue beaucoup la petite. C’est qu’il est déjà grand pour elle qui le regarde de ses cinq ans de moins.
Une servante finira pas avouer à l’enfant, à mi-mots, que Lewis est son demi-frère, qu’ils ont le même père, tous les deux. Interloquée, d’abord elle ne dit rien.
Elle posera la question de but en blanc au repas de famille, avec ses mots d’enfants. Puis immédiatement congédiée dans sa chambre sans avoir le droit de manger jusqu’au lendemain.
Elle ne comprenait pas ce qu’elle avait fait de mal.Heureusement, ce soir-là le jardinier lui a amené une brioche, discrètement. Elle l’aimait beaucoup, ce grand monsieur un peu mystérieux. Elle admit pourtant qu’il ne lui fallait plus poser ce genre de questions de la sorte… C’était dommage mais elle ne voulait contrarier personne.
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Elle comprend rapidement que sa mère ne l’apprécie pas vraiment. Ou du moins, si Cassandra ne pose pas de mots concrets dessus, il y a quelque chose qui serpente dans son esprit d’enfant. Quelque chose de venimeux.
Elle voit les égards auxquels elle a droit en comparaison des enfants d'amis de sa génitrice. Sa mère les couvre d’éloges et de mots précieux quand Cassandra peine à lui arracher ne serait-ce qu’un regard. Et quel regard. Il tient plus de l’œillade contrariée qu’autre chose.
Encore une fois, Cassandra ne comprend pas. Mais à cœur vaillant, rien d’impossible ! Elle se met en tête de vouloir rendre sa mère fière d’elle et se dépasse pendant les leçons. Elle maîtrise la danse et le chant très rapidement – les précepteurs disent d’elle qu’elle est magnifiquement bien éveillée pour une enfant de son âge, qu’elle a l’esprit vif.
Cela n’a jamais semblé émouvoir sa mère outre mesure.
Elle avait pourtant fait de son mieux, elle pouvait le promettre.
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Cassandra souffre régulièrement de fièvres, de douleurs en tout genre et d’évanouissements qui firent dresser des cheveux sur la tête des domestiques l’ayant découverte sur le sol de sa chambre ou d’un couloir, complétement amorphe. Plus d’une fois, bien entendu.
Dès qu’il y a une petite infection, Cassandra en devient l’hôte privilégié. Dès qu’un coup de froid s’installe, c’était dans ses poumons qu’il logeait le mieux et le plus longtemps.
Les médecins dépêchés à son chevet mettent un long moment avant de déterminer ce qui lui arrive en réalité. Car les nombreuses maladies qu’elle contracte ne sont pas uniquement le fruit d’un système immunitaire défaillant. Il y a autre chose.
Elle est hémophile.
Son sang ne coagule pas bien si l’on n’applique pas les soins de rigueur. La moindre coupure, même minime, peut provoquer chez elle des hémorragies pendant des heures durant si rien n’est fait pour stopper la chose. Ceci fut découvert au court d’une saignée qu’un médecin voulu lui faire subir. Bien mal lui en pris, bien qu’il fut le premier à s’intéresser à ce cas d’école, alors.
Cassandra est investie de l’ordre de faire religieusement attention et de corriger sa maladresse. Elle ne doit pas se blesser, en aucun cas.
Heureusement qu’au moins elle avait de bons yeux pour percer à jour le danger.
Elle n’en a jamais parlé à Lewis. Elle n’aurait pas supporté de voir de la pitié dans son regard à lui, aussi.
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Les treize ans atteint, Cassandra est heureuse de voir que sa relation avec Lewis s’est améliorée. Pour une raison qui lui a totalement échappé, il est devenu plus prévenant avec elle, plus gentil, aussi. Cassandra est heureuse d’avoir ce frère avec qui s’exalter. Elle passe de plus en plus outre les consignes de sa mère de ne pas trop prendre exemple sur lui.
Qu’avait-elle le droit de dire quant à ses envies d'exemples, après tout, sa mère ?
Cassandra s’ingéniera à détourner ses demandes, se faisant de plus en plus revêche face à cette femme. Et les choses n’allaient pas en s’arrangeant.
Toutefois, elle voulut tout de même faire bonne figure, afin de sauver les meubles. Lewis la surprend ainsi, à treize ans, les épaules et la tête fardées de vêtements lourdement lestés de métal – des côtes empruntées en douce aux armureries modestes de la famille.
Lorsqu’il l’interroge du regard pour savoir ce qu’elle veut faire de ces choses-là, qui en plus d’être trop larges pour elle la font chanceler, elle répondra, spontanée :
« Maman ne veut pas que je continue de grandir alors j’essaie d’arrêter comme ça ! »S’en suivra une belle chute et une apparente imitation – ratée – de tortue ; incapable de se remettre en position assise sans le concours de Lewis, lequel ne saura pas s’il devait alors rire ou pleurer de dépit devant pareille ineptie.
Pourtant elle avait ri. Ce n’était plus aussi courant, à cette époque-là.
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Un soir qu’elle ne parvenait pas à dormir, peu de temps après avoir soufflé ses quinze bougies, Cassandra errait dans la demeure familiale douchée par les pluies torrentielles de la saison. Le bruit des grosses gouttes sur les carreaux camouflait ses bruits de pas sur le bois du couloir.
Une porte mal fermée attira son attention car de la lumière s’en échappait. Plusieurs voix s’en échappèrent et Cassandra reconnue sans mal celle de sa mère et de son père. Elle aurait voulu aller les voir avec spontanéité mais ne termina jamais son geste d’attraper la poignée de la porte car la teneur des propos qui s’évadèrent de cette pièce la stoppèrent sur place.
« Thelma, je compte trouver un prétendant à Cassandra, bientôt. C’est qu’elle est en âge désormais. »
« Comme si une telle chose était possible. Enfin, vous la marierez,oui… Mais sans doute pas dans l’immédiat. Je ne me fais pas d’illusions quant à son potentiel, à vrai dire. »
« Mais… »
« Point de cruauté dans mes paroles, je l’assure. Mais Cassandra est née malade et vous le savez mieux que personne ; d’une affliction risquant bien de l’emmener dans la tombe sitôt qu’elle accouchera. Et même sans parler de cela, elle est bien trop grande et semble déterminée à continuer de pousser… Ses hanches sont trop larges et sa poitrine mal proportionnée. Heureusement pour elle qu’elle a hérité d’un beau visage, c’est la seule chose qui la sauve. »
Cassandra ignore encore aujourd’hui si la conversation a perduré par la suite, elle est repartie dans sa chambre, livide. Pour mieux pleurer en silence toutes les larmes de son corps dans son oreiller. Ce fut la cassure de trop dans le lien qui l’unissait encore un peu à sa génitrice.
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Par l’intermédiaire de l’un de ses précepteurs, qui découvre un carnet où elle a rédigé quelques scènes, Cassandra fini par rencontrer le frère de ce dernier, un auteur de pièces de théâtres et d’Opéra officiant dans la capitale d’Adrestia.
Il lui dit qu’elle a du potentiel. Il est vrai que cela faisait des années déjà qu’elle s’était passionnée pour les opéras et leurs constructions. Elle-même avait rédigé textes et chansons pour peut-être un jour les adapter. C’aurait été son rêve, que de voir son œuvre incarnée. Et peut-être même, pourquoi pas, y jouer aussi.
Cela devint son leitmotiv, sa force de vivre, son objectif.
Le frère de son précepteur l’aida à corriger et améliorer une bonne partie de son œuvre et elle découvre après un an de travail le résultat de son dur labeur. C’est une victoire personnelle.
D’autant plus lorsque l’auteur lui propose de faire jouer sa pièce devant un petit jury trié sur le volet et… D’incarner le rôle qu’elle préfère, par-dessus le marché ! Cassandra ne peut que difficilement retenir une exclamation de joie avant d’enlacer celui qu’elle perçoit alors comme son bienfaiteur définitif.
Si la pièce plaît au petit public choisit, elle poursuivra son ascension sur les planches, c’était certain !
« J’y pense, encore… Toujours encore, et ça tourne en rond… »Debout sur cette scène modeste, Cassandra donne le meilleur d’elle-même afin de légitimer la chance qu’on lui offre, cette chance inespérée de pouvoir faire valoir son talent de rédactrice et de chanteuse.
« J’y pense autant que le temps nous attend, il est ma prison. »L’histoire de sa pièce, plutôt banale, suffit pourtant à attiser la curiosité des spectateurs. Une jeune femme née dans une famille royale tombe amoureuse d’un échanson du pays voisin, qu’elle a rencontré lors du voyage politique de son fiancé, le prince dudit pays.
« Tout ces désirs me tannent, tout ce qui m’attire me condamne… »La princesse à qui Cassandra prête sa voix et ses chairs sait parfaitement quelles conséquences l’attendent si elle se décide à vouloir vivre l’amour comme elle le souhaite plutôt que par obligation. Mais elle le fait quand même. Et au diable les alliances, au feu les mariages obligatoires ! Quelque part, Cassandra se reconnaît dans cette situation.
A d’autres niveaux, simplement.
« Je sais la sentence pour l’indécence de mes pensées. J’avais l’innocence, j’ai l’insolence d’avoir osé. Voici la douleur, j’ai commis l’erreur de te regarder. Le doute, la défiance, le trouble, la méfiance, fidèle obsession… »Des heures passent avant qu’elle ne s’effondre, finalement, d’une fatigue appréciée. On l’applaudit, on la pâme d’éloges. Pour la première fois, elle est meilleure que ses frères. Pour la première fois, on la considère.
Pour la première fois, elle est fière.
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Mais la vie est bien cruelle avec ses fidèles. Cassandra apprendra que son œuvre lui a été dérobée, volée. Son supposé bienfaiteur ne lui ayant jamais rendu ses brouillons, elle n’avait aucun moyen de prouvé le forfait de cet homme. Elle ne pouvait que contempler, impuissante, son travail reprit par d’autres voix et son orgueil piétiné, sinon éviscéré.
On met en avant sa maladie, son hémophilie pour justifier qu’elle n’aurait jamais pu tenir le coup dans une saison de représentation. On la taxe d’égoïsme et de caprices, on la relègue à sa chambre, son cachot personnel.
Dorothea Arnault incarnera son personnage préféré. Ce sera une lame de plus enfoncée droit dans son cœur.
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« Semblerait-il que plus d’un mal vous ronge, ma demoiselle. »
C’est en ayant les idées peintes de teintes sombres qu’elle fait la rencontre d’un bien étrange individu, lors d'une sortie à la capitale d'Adrestia avec sa famille. Cassandra ne saura pas comment elle s'était retrouvé dans cette ruelle miteuse, dans cette échoppe délabrée à l'immonde propriétaire. Elle s’apprêtait à quitter les lieux lorsqu’il laissa échapper un rire étrange.
« J’ai peut-être ce qu’il vous faut pour pallier à votre sang mal conçu, mon enfant. »
Comment ? L’information n’avait pas tant fuité au dehors de la maisonnée Harvertg, elle était bien placée pour le savoir. La curiosité s’était dès lors mêlée à l’affaire, mais Cassandra restait méfiante, très méfiante.
« Comment savez-vous cela ? Et puis d’abord, qui êtes-vous ? »« Herk herk… Je ne suis qu’un humble médecin des ruelles qui aime à aider son prochain. »
A ces mots il sorti une fiole de sa poche. A l'intérieur du récipient ondulait un liquide pourpre, étrange.
« Une dose deux à trois fois par mois et vous verrez que votre sang finira par vous obéir… Enfin, si vous prenez ce remède pendant au moins un an, je dirais. »
Elle n’était pas convaincue mais son envie d’en savoir davantage était trop pressée pour que son esprit ait le temps de commander à sa bouche de se taire.
« Que voulez-vous en échange ? »« Ohoh trois fois rien, vous verrez… Juste un peu de votre sang lorsque vous irez mieux… Je vous fais grâce de ce mois-ci par ailleurs, afin de prouver ma générosité. »
« Mon sang ? Pour quoi faire ? Il n’y a pas d’emblèmes dans ma famille. »« J’ai aussi mes secrets… Herk Herkk… »
Cassandra regarda alors la fiole. L’homme lui assura alors qu’une fiole contenait assez de doses pour six mois.
Si elle était d’accord pour avaler cette mixture-là, il était disposé à en lui en fournir autant que nécessaire… Sans pour autant jamais trahir la recette.
Peut-être était-ce le désespoir ou juste la stupidité – à moins que ce ne fut-ce un savant mélange des deux – mais Cassandra prit la fiole et avala derechef la première gorgée. C'était amer!
Elle reparti en possession de cette étrange fiole et la cacha sous ses vêtements. Il lui fallut commencer à composer avec divers désagréments. Vertiges, maux d'estomacs, insomnies... Les maux étaient variés et apparaissait souvent au pire moment. Mais Cassandra voulait essayer tout de même. Elle ne voulait pas croire qu'il s'était joué d'elle.
Elle voulait un espoir.
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Des membres de sa famille, son père était sans doute celui de qui Cassandra se sentait le plus proche. Ils n’échangeaient pourtant que peu, mais l’homme savait faire sentir sa bienveillance envers cette fille qu’il savait aimer et chérir bien différemment que la matriarche de la famille.
Un soir, pourtant, il lui fit une demande bien particulière ; Un prince impérial avait fait l’honneur à la famille Hartverg de venir au banquet organisé par cette dernière afin de jauger l’enfant pressentie pour un cursus à l’Académie des Officiers. Non pas que Cassandra n’eut jamais entendu parler d’un tel lieu, mais elle n’avait aucune envie d’y étudier et encore moins de s’y rendre.
Pour autant, cela semblait tenir à cœur à son père, aussi Cassandra fit de son mieux pour paraitre élégante et affable en cette fraîche soirée de fin d’année. Et le résultat fut sans équivoque puisque c’est Lewis qui attira l’attention du prince. Il lui était passé devant sans même lui accorder le moindre regard. Elle se doutait là que ce n’était en rien un geste déplacé et insultant mais dans les yeux de son père, elle sentit qu’elle aurait dû se sentir profondément humiliée.
En réalité, elle était surtout soulagée. Elle pensait ne plus être en lice pour une quelconque ambition du genre.
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Le temps lui donna tort, une fois encore. Son père l’inscrivit tout de même à l’Académie et quand bien même elle aurait souhaité rater l’examen d’entrée – la magie, elle en avait suffisamment soupé et aurait voulu qu’on la laisse en paix avec cette spécialité – Cassandra eut le déplaisir de recevoir sa lettre d’acceptation.
Le seul côté positif fut que Lewis et elle partagerait au moins une année d’enseignement loin de la maison Harvertg. Rien que pour ne plus voir sa mère en permanence, Cassandra parvenait à trouver du bon dans cette fumisterie.
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C’est en faisant quelques emplettes pour ses affaires de l’année, à Enbarr, que Cassandra fait la connaissance de Weils. L’animal, chiot blessé, attira immédiatement sa sympathie. Et Cassandra, de ses yeux miroitants, n’eut que peu de peine à faire plier son père qui lui accorda de garder l’animal avec elle. Le sombre labrador fut conduit en la demeure Harvertg – au grand déplaisir de Lewis – et Cassandra le nomma Weils tout en lui prodiguant les meilleurs soins en ses cordes.
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La veille de son départ, l’étrange médecin réapparut au domicile Hartverg, cette fois -comment avait-il trouvé? - pour lui fournir deux autres fioles pour pouvoir tenir l’année à venir. Elle lui donna un peu de son sang, comme il en avait fait la demande, et ne fit pas de commentaires en s’emparant des fioles.
C’est en d’étranges dispositions que Cassandra quitta la demeure familiale en même temps que Lewis pour se rendre au Monastère de Garreg Mach. Là l’attendrait encore bien des aventures, à n’en point douter. Mais saurait-elle seulement en extraire sa chance ? C’était encore à définir.
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Contrairement à ce qu’elle pensait jusqu’alors, l’Académie permet à Cassandra de découvrir bien des choses, bien des sentiments. L’amitié, auprès d’un certain Caspar von Bergliez, la jalousie maladive auprès d’une biche dorée dont elle taira encore aujourd’hui le nom. Mais surtout, l’amour. Oui, l’amour.
Auprès d’un lionceau céruléen, elle se trouvait prise de spasmes incontrôlables dans sa poitrine et l’espace d’un instant, Cassandra se sentait comme la princesse de l’opéra qu’elle avait écrit autrefois. Vulnérable et forte à la fois, rêveuse mais tellement ancrée dans une réalité.
Elle était tombée éperdument amoureuse.
Son nom était Noé.
Mais il l’a éconduit, au profit d’une jeune femme – une roturière ! – qu’il disait aimé de tout son être, de tout son cœur. Cassandra l’avait déjà soupçonné lors du bal du Héron Blanc, mais elle en a eu l’ultime confirmation par les mots de l’homme qu’elle aimait alors avec une passion rare. Et elle regrettera de s’être tant livrée à lui par l’intermédiaire d’une lettre.
A cause de son caprice, elle a bien failli perdre Lewis.
Elle ne s’en serait jamais remise s’il ne l’avait pas pardonné.
Aujourd’hui, elle a enterré les sentiments sous une chape de liberté. Du moins le penses-t-elle.
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Lorsque la guerre éclate et que la très jeune impératrice attaque le monastère, Cassandra est perdue, comme beaucoup d’autres. Toutefois, elle finira par suivre son frère, docile et atterrée par ce qui vient de se produire. Quelles autres options avait-elle à sa disposition ?
Persuadée de n’avoir pas d’autre choix, elle rejoint Adrestia sans être pleinement diplômée – elle avait été si proche de l’être, pourtant – et retourne à la demeure Hartverg qui, elle le réalisa à ce moment-là, ne lui avait pas tant manqué que cela.
On lui interdit formellement de rejoindre le front et lorsque Lewis y part, elle sent sa poitrine se déchirer. Et pourtant elle ne dit rien à ce moment-là, Cassie. Parce que ses caprices lui avaient déjà bien trop coutés. Alors elle a serré les dents, ourlé ses lèvres en un sourire. Si ses yeux étaient gelés, au moins pouvait-elle donner le change, faire semblant.
Ce serait là son opéra.
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Les années de guerres passent plus rapidement qu’elle ne le pensait, sans doute parce qu’elle ne combat pas elle-même.
Paradoxalement, à cette période où son père se presse de plus en plus à lui trouver un mari, Cassandra se rapproche de sa mère, d’une manière bien inattendue. Peut-être le fait d’être considéré comme une fille à marier plutôt qu’une fille tout court eut raison du cœur de fer de Thelma von Hartverg, après tout.
De longues discussions entre la mère et la fille, où cette dernière dévoilait enfin tout ce qu’elle avait sur le cœur purent prendre place devant la cheminée familiale. Cela n’effacerait jamais toutes les années d’abus psychologiques, bien entendu, mais c’était déjà un bon début pour repartir sur des bases saines. Thelma ne dit rien, encaisses et reconnait ses fautes. Cassandra se dit que peut-être, elle pourra faire confiance à sa mère, à l’avenir.
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Finalement, on lui avait trouvé un prétendant. Un Comte de l’Alliance avec qui l’Empire aspirait à avoir un pacte d’allégeance, d’une manière ou d’une autre. Ce mariage était l’occasion rêvé d’y parvenir. Cassandra, autrefois simple noble de bas rang, se retrouvait propulsée en pion politique, sans avoir rien à redire à ce sujet.
On lui prépare une jolie robe, on la complimente, on la félicite. Mais elle ne veut que crever, elle ne veut que partir.
C’est pourtant l’honneur de la famille qu’elle doit défendre et c’est dans cet état d’esprit qu’elle quitte la demeure familiale, Weils couché sur le plancher de la calèche qui la conduit vers l’Alliance. Son père ne sera pas présent aux noces. Sa mère non plus. Cassandra est rongée par la peur. Elle craint son futur époux, même si elle ne lui a jamais vraiment beaucoup parlé.
Elle a honte, Cassie.
Heureusement, sa peine est allégée par une missive de son père, stipulant que Lewis serait surement là pour son mariage. Au moins un peu de positif.
Lorsqu’elle est enfin préparée par les domestiques de la demeure de son futur mari, Cassandra est laissée seule quelques instants, pour, dit-on, « bien prendre acte de la situation ». Elle devrait se sentir chanceuse, et pourtant… Pourtant lorsque son regard doré croise son reflet dans le miroir, elle ne voit rien de gracieux à son apparence. Et ce voile sur sa tête lui donne l’impression d’être un étau prêt à lui broyer le crâne à la moindre occasion, au moindre faux-pas.
Quelqu’un vint toquer à la porte. C’était une toute jeune servante, venue lui apporter une missive. Étonnée, Cassandra la remercia avant de la congédier. Une lettre de sa mère. Elle en ouvrit avec délicatesse les plis pour ne découvrir que quelques mots jetés là sur le papier.
« Fuis, mon enfant.
Fuis et sois heureuse. »
Ces quelques arabesques eurent un effet puissant sur le cœur de Cassandra. Elle le sentit soudainement battre plus vite, plus fort. Les larmes détalèrent de ses yeux pour venir inonder son visage, sa robe, tout. Serrant la missive contre son cœur, cette bénédiction de la personne qui l’avait mise au monde, Cassandra fut ainsi rendue plus déterminée et plus enflammée que jamais.
Elle allait fuir.
La chance – ou la Déesse – voulu qu’une paire de ciseaux se trouve là, à portée de main. Sans réfléchir davantage, Cassandra en ouvrit les lames et commença à taillader sa chevelure, pour enlever cette couronne d’épines, ce voile de vie qui devait symboliser l’union de deux êtres. Une bonne partie de sa longue chevelure blonde la quitta dans le processus. Elle n’en eut cure.
Son acte commis et ses cheveux désormais bien courts, libérés de tout poids, Cassandra se dépêcha de découper sa robe pour en déchirer les pans qui la gênait.
Dans la pièce, elle put trouver une tenue neuve de domestique, bien rangée au fond d’un placard – sans doute laissé là par erreur, pour son bénéfice. Les vêtements n’étaient pas vraiment à sa taille, mais qu’importe. Elle arrangea au mieux la situation.
Enfin, profitant que personne ne surveillait son couloir, elle prit la clef des champs, son apparence nouvelle jouant pour elle dans son échappée. Qui aurait pu se douter que sous cette tenue sobre se cachait en réalité la jeune mariée attendue à la chapelle toute proche ?
Actuellement sur les routes de l’Alliance avec Weils et quelques-unes de ses rares affaires – les fioles, notamment -, Cassandra cherche à rejoindre le Royaume, puisque c’est là qu’elle a quelques connaissances. Et de toute manière, elle souhaite avant tout mettre le plus de distance possible entre elle et l’Empire.
Elle espère que cette fois aussi, elle saura un jour obtenir le pardon de Lewis.
L’heure n’est plus aux caprices.