Une enfance à deux vitesses
Le soleil faisait frapper ses rayons sur tout le continent d’Adrestia. La saison était clémente et la douceur du vent rafraîchissait les visages clairs et heureux des membres de la petite bâtisse. Deux femmes se tenaient là, assises devant une troisième qui tenait un jeune garçon dans ses bras. L’enfant devait avoir trois ou quatre ans tout au plus. Ses cheveux blonds brillaient davantage encore grâce à la fenêtre qui laissait passer toute la chaleur de l’astre.
Dehors des bruits de chevaux se firent entendre. Les visages des trois femmes se refermèrent brusquement et la mère laissa échapper une larme.
- « Ils reviennent, ils vont réessayer… Encore… Ce n’est plus concevable. Je ne les laisserai plus te faire de mal. Écoute moi mon fils. Ce monde n’est pas juste, mais il peut être meilleur. Tu dois vive. Surtout ne m’oublie pas… Ne m’oublie jamais et souviens toi que je n’ai toujours voulu que ton bien. »La femme confia l’enfant aux deux autres qui s’en saisirent promptement. Elles l’amenèrent par une issue dérobée derrière le bâtiment et le confièrent à un homme qui conduisait une calèche tirée par deux énormes chevaux.
« - Allez-y, faites ce qu’on vous a dit. »La calèche fila aussi vite que possible et se perdit dans l’horizon. Le jeune garçon qui se nommait Rheddyn ne quitta pas des yeux l’endroit où ses premières années avaient défilé si vite. Ce joli petit puit sur lequel il s’asseyait avec sa mère avant que les hommes ne l’emmènent pendant quelques jours. Ce puit qui accueillait toujours ces oiseaux aux couleurs de l’arc en ciel. Petit à petit, il ne perçut plus qu’un léger point dans le lointain. Il n’avait conscience de rien. Il ne savait pas qu’il ne reverrait jamais sa mère et que cette dernière venait de lui sauver la vie.
Nous voilà dix ans plus tard. Tant de choses s’étaient passées. L’homme à la calèche avait accepté son paiement mais avait fini par ne plus vouloir s’encombrer d’un passager clandestin. Il avait donc décider de laisser l’enfant dans la première grande ville venue. Cette grande ville, c’était Enbarr, la capitale. C’est ainsi que Rheddyn fut livré à lui-même durant les premières années de sa vie, ballotté de marchand en marchand qui se refilaient la pierre chaude. Aucun ne voulait prendre la responsabilité de ce cadeau empoisonné.
Un jour, il n’y eu plus personne pour l’abriter, pour en prendre soin, et à 8 ans il finit par rejoindre les bas-fonds de la capitale. Dès lors sa vie ne ressembla plus à une vie, mais à une succession de petits vols et de trocs pour se nourrir, se vêtir et même parfois dormir. Cela dura pendant des années encore… Jusqu’à ses 10 ans où il rencontra par hasard un groupe d’enfants qu’il n’avait jamais vu auparavant. Celui qui semblait les mener était plus âgé que Rheddyn, probablement avait-il une douzaine d’années.
Très vite le groupe d’enfant intégra notre protagoniste au nom de la solidarité des enfants de la rue. Le leader se nommait Lotra et venait de Brigid. Son teint mat et son accent ne pouvait que trahir ses origines bien que Rheddyn n’en avait jamais eu conscience jusqu’à ce qu’il évoque le sujet avec lui.
Il avait été amené ici avec sa famille chez un comte pour servir de domestique. Malheureusement il avait été mis à la porte il y a des années pour une série répétée de maladresses lors de réception mondaine. Ses parents n’avaient jamais eu le courage de partir à sa recherche. Il avait donc monté avec ces malheureux orphelins une sacrée bande de joyeux lurons qui avaient élu domicile au sein d’un entrepôt abandonné.
Ainsi durant des années ils vécurent ensemble dans une certaine harmonie. Lotra était incroyable. Il fourmillait d’idées, de cachettes et de plans pour fournir de quoi se sustenter à chacun de la petite dizaine d’enfants. Mais un jour leur monde s’écroula.
Alors âgé de 15 ans, Rheddyn retrouva Lotra, presque majeur, devant leur habitation de fortune. La lune donnait à celui qu’il considérait comme sa famille une lueur presque irréelle.
« Lotra que fais -tu à veiller si tard ? »« Il faut que je parte Rheddyn. Demain. Tu sais comment je suis arrivé ici. Tu connais mon histoire. Bientôt je serai trop vieux pour m’occuper de vous, pour continuer cette vie de misère. Tu devras prendre le relai. Je vais m’engager… Je ne sais pas où ça me mènera mais je dois le faire. »« Ne dis pas de bêtises Lotra… Si tu nous laisses ici tu sais très bien qu’on ne s’en sortira pas sans toi. »« Arrête de te sous-estimer. Tu es tout à fait capable de prendre le relai. Tu es même plus capable que moi. Combien de fois avons-nous survécu grâce à tes initiatives. Tu as ça en toi. Tu es un leader et je te fais de l’ombre. Prends ton envol maintenant. Mène ces jeunes vers des sommets plus haut que ce taudis. »« Lotra…. »Trois jours plus tard il avait disparu. Avec ce départ une page se tournait pour ne laissait que place au vide. Il se disait qu’un jeune gaillard étranger avait rejoint un détachement passé dans le coin qui s’en irait rejoindre le front à Dadga. En apprenant la nouvelle la mine de Rheddyn s’assombrit et l’espoir ne demeurait que parce qu’il s’avait de quoi était capable son frère de rue.
5 ans se déroulèrent pendant lesquelles le blondinet géra d’une main de maître la troupe de lascars. Tous avaient grandi, certains plus jeunes les avaient rejoints. Âgé de 19 et allant sur ses 20 ans, le plus vieux leader du groupe n’avait pas eu le courage de les abandonner. Il ne ressentait pas la force de les laisser de côté et d’avancer comme l’avait fait son ami auparavant.
Pourtant il allait y être contraint.
Un beau jour alors qu’ils avaient prévu de subtiliser un chargement destiné à rejoindre la demeure d’un notable du coin, les événements allaient ouvrir une nouvelle porte au jeune homme.
Tout avait été organisé avec une précision digne des plus grands. Personne ne devait être en danger, seul Rheddyn se retrouverait face au chargement pendant que les autres subtiliseraient rapidement le chargement.
Un plan simple qui consistait à immobiliser la cargaison à l’extérieur de la ville dans la forêt avoisinante et à attirer les soldats sur lui pour laisser libre accès à ses camarades. La totalité du plan se déroula de parfaite manière. L’instigateur se retrouva face aux transporteurs armés jusqu’aux dents. La hache dans sa ceinture, Rheddyn ne comptait pas l’utiliser contrairement aux soldats en face de lui.
« Bonjour messieurs ! Je vois que vous êtes bien chargés. Peut être désirez vous que je vous déleste de votre charge ? »N’ayant pas été payés pour leur ingéniosité les soldats se jetèrent à sa poursuite. S’ensuivit une course poursuite durant laquelle les poursuivants, aux nombres de trois, se firent aisément semer. Rheddyn regagna le chargement avant eux pour constater l’avancée du larcin.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il constata que ses complices étaient restés bloqués devant le coffre gigantesque la bouche ouverte.
« Mais que … ? »À son tour il ne put finir sa phrase… Trois enfants étaient ligotés dans le coffre, visiblement dans un état proche de la malnutrition et couverts de blessures. Rheddyn en eut des sueurs froides. Il n’avait pas anticipé une telle situation et ne sut comment réagir. Les trois enfants avaient une dizaine d’années et le blondinet lui ôta le bandeau qu’il avait sur la bouche.
« Libérez-nous s’il vous plaît ! Nous pouvons vous aider, faire n’importe quoi, ne les laissez pas nous emmener ! »Son interlocuteur ne put en dire plus avant de sombrer dans de profonds sanglots.
« Mais qu’est-ce que vous faites ici ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? »Le garçon reprit le dessus et tenta de s’expliquer :
« Nous venons d’un comté d’Adrestia. Nous avons été élevés et éduqués là-bas, jusqu'à ce qu'on nous mette dans ces charrettes. Plusieurs des nôtres ont déjà été vendus... »
« Je veux revoir ma mère. Je veux revoir mon puit aux oiseaux. »Un choc. Un coup de matraque dans la nuque. Un flash.
« Ton quoi ? »« Mon puit aux oiseaux… ma mère et moi nous asseyons tout le temps avec les autres enfants… Les oiseaux étaient si beaux… »Il s’effondra de nouveau. Mais cette fois il n’était plus seul. Rheddyn eut les larmes aux yeux sans trop savoir pourquoi.
« Que fait-on Rhed ? »Il n’eut pas le temps de répondre que déjà les soldats revenaient à toute allure et voulant en découdre. Cela devait être le vol de leur vie, il était surtout sur le point d’être leur dernier. Il était entouré d’enfants. Aucun ne survivrait face à ces trois soldats.
« Fuyez. Maintenant ! Je vous retrouverai avec ces trois gamins. Vite ! »Déjà le premier soldat allait abattre sa lame sur un des voyous. Rheddyn sortit sa hache à une vitesse folle et se laissant porter il asséna un violent coup sur les genouillères de l’ennemi qui tituba avant de toucher le sol. Il en profita immédiatement pour enfoncer sa hache dans le heaume de l’opposant. Ce fut la première fois qu’il tuait. À l’âge de 19 ans… Connaissant toute l’histoire il n’en éprouva aucun scrupule.
Déjà les deux autres fondirent sur lui avec une rage à peine camouflée. Il esquiva les premiers assauts mais sut qu’il ne parviendrait pas à s’en sortir. Il avait eu le premier par surprise. Pourtant son agilité prévalait largement sur ses assaillants qui avaient du mal à l’atteindre. Il tenta à plusieurs reprises de les toucher mais l’un défendait toujours l’autre. Ce combat ne menait nulle part.
Il dura comme cela plusieurs minutes et les deux soldats commençaient à fatiguer. C’est ce qui permis à Rheddyn de désarmer l’un des deux avec une feinte habile et de l’assommer violemment avec un coup sur son heaume. Il ne sut dire s’il avait fait une deuxième victime. Le troisième semblait être plus entraîné. Il asséna une multitude de coups d’estocs jusqu’à ce que l’un atteigne sa cible. Rheddyn s’effondra. Le regard vide il sut que s’en était fini. Il pensa alors :
Tu vois Lotra … Tu avais tort…Et un voile noir assombrit son regard alors qu’il entendait déjà des renforts arriver…
Un linge humide venait éponger son front. Il se réveilla lentement et constata qu’il n’était visiblement pas mort. Ce qui le surprit davantage était qu’il n’était même pas enfermé. Rheddyn se trouvait dans une chambre avec une servante qui s’occupait de soigner ses blessures. La pièce était lumineuse, ornait de bibelots tous plus dorés les uns que les autres. Au mur des médailles venaient récompensés des actes militaires. Il le savait car Lotra le lui en avait montré un tas lors de leurs échanges.
« Où suis-je ? » La femme sourit en le regardant mais c’est une voix d’homme qui lui répondit.
« Tu es chez moi. Lieutenant Von Guervil. Enchanté Rheddyn. Je vois que tu as repris des couleurs. »« Mais … ? Je ne comprends rien… »« Remets-toi, habille-toi et viens me retrouver dans quelques temps dans la salle commune ». Rheddyn s’exécuta sans poser de question. La maison était incroyable. Si l’on peut parler de maisons pour de si grands espaces … Il retrouva rapidement son sauveur (ou était-ce son bourreau ?).
« Installe-toi je te prie. »Il s’assit et demanda que l’homme lui relate tous les faits. Il n’avait pas de temps à perdre et devait retrouver ses compagnons ainsi que les trois enfants, s’ils étaient encore en vie… Le lieutenant était un homme souriant bien que marqué par les batailles. Son visage était couvert de petites cicatrices et une grande moustache blanche venait lui chatouiller le nez. Il n’inspirait néanmoins aucune animosité, au contraire.
« Tout d’abord sache que tous tes camarades et les trois enfants vont bien. Ils sont depuis deux jours dans mon domaine où ils semblent plutôt heureux ma foi… Je leur ai offert le souper et un foyer. Je compte m’y tenir jusqu’à leur majorité pour les remercier de leurs efforts. Alors sois rassuré là-dessus. »Il lit dans mes pensées ?!« Vois-tu … Ces enfants cher Rheddyn, tu les as sauvés. Ils étaient destinés à un sort bien funeste. J’avais pour intention d’intercepter ce chariot bien avant que n’appreniez son existence et son contenu. Mais malgré tout vous m’avez devancé. Tu as tué deux soldats. Bravo pour cela, tu peux d’ores et déjà considérer que tu vas être recherché. Néanmoins ta chance est que pour eux tu n’as pas de nom. »
« Mais ce groupe… Fait-il ça depuis longtemps ? De vagues souvenirs me sont revenus en échangeant avec un des enfants. Il semblerait que nous ayons des images communes. Je ne me souviens de rien. Seulement des rues d’Enbarr et pourtant… »«Je ne sais pas grand chose sur les acteurs de ces horreurs. Je suis influent vois-tu... mes informateurs savaient qu'un chariot ... particulier allait faire son entrée dans la capitale. Mais écoute petit, tu ne survivras pas encore deux semaines dans la rue. Tu n’es rien, tu n’es personne. Mais ils te trouveront. Tu as été capable de capacité martiale au-dessus du lot, de stratégie impressionnante pour ton âge. Alors ouvre grand tes oreilles. Tu es désormais Rheddyn Orlaïs. Mon neveu bâtard. Tu ne porteras pas le titre de Von. Et je vais te recommander pour l’académie de Garreg Mach. Fais tes preuves. Deviens quelqu’un. Et aide-moi dans cette lutte contre les aberrations de ce monde. »Les larmes coulèrent sur le visage de Rheddyn. Son monde allait changer. Comme une juste récompense de tout ce qu’il avait subi jusqu’à maintenant. Peut être même cela lui permettrait de retrouver Lotra. Quoiqu’il en soit il était bien décidé à changer le monde. Changer Adrestia. Mais pour ça … Il allait devoir devenir Rheddyn Orlaïs, dire adieu à ses camarades qui auraient une vie meilleure et planter ces graines qui feront fleurir les prémices d’un renouveau.
C’est ainsi que notre héros débuta son ascension… Il gagna l’académie dans la maison des aigles de jais. Néanmoins, sur la réserve face à ces nobles et ne voulant pas que son identité soit dévoilée au grand jour, il resta en retrait et ne participa à la vie du monastère que dans l’ombre de ses camarades.
Aujourd’hui âgé de 20 ans, il se dit qu’enfin il est temps de prendre son envol… De sortir sa hache et de montrer à tous qui il est…
Une période faste avant l'effondrement ...
C'est ainsi ce qu'il fit durant son année à Garreg Mach. D'abord avec des idées très arrêtées sur le monde et la noblesse, il côtoya de nombreux personnages hauts en couleur qui lui firent nuancer ces pensées. Son regard évolua lentement alors que Caspar, Lucrèce et Lewis lui offraient un apprentissage de la vie autre que celui de la rue. Il put ainsi découvrir ce que la camaraderie avait de plus agréable. Cette année d'entraînement intensive fut sans doute l'une des plus heureuse de sa courte existence. Les enseignants étaient tous bienveillants et ne lésinaient pas sur les conseils.
Sur le plan martial, nul doute que Rheddyn en apprit énormément. Sa hache devint le prolongement de son bras et ses duels avec Caspar étaient devenus une attraction dans tout le monastère. Il put également faire la connaissance d'Edelgard pour qui il se prit d'une affection profonde.
Sa surprise n'en fut néanmoins pas moins étonnante lorsqu'elle décida de prendre le pouvoir et de mener une campagne militaire assez radicale. Rheddyn savait ainsi que leurs visions se rapprochaient drastiquement. Il décida dont naturellement de la suivre, se prêtant au jeu des batailles qui se succédaient et s'intensifiaient à mesure qu'ils progressaient ensemble sur les différents territoires. Il avait ainsi la conviction d'agir pour le bien, prêtant mains fortes à ses amis qui avaient suivi le mouvement.
Pourtant... Il ne put se résoudre à accepter quelques agissements qui lui semblèrent bien trop extrêmes. Ces derniers ne semblaient pas être toujours nécessaires et ne s'expliquaient pas par le but poursuivit par son impératrice. Pourtant, personne ne réagissait à chacun de ces scandales, ce qui irritait le soldat au plus haut point. Nommé lieutenant pour ses prouesses sur les champs de bataille, il déchanta rapidement et fut pris de remords quant à leurs agissements.
Il décida donc de quitter la coalition. Sans sourciller et sans se retourner, mut par une colère grandissante, il rejoignit la route sans but précis si ce n'est celui de suivre son propre credo.
Plusieurs fois, le jeune homme fut pris de regret d'avoir quitté les seuls camarades qu'il avait eu depuis Enbarr. Néanmoins il lui apparaissait primordial de protéger l'intégrité de ses valeurs. Il erra de longs mois, effectuant différentes tâches que lui confiaient les habitants des villages traversés. Rheddyn vit dans cette occasion la possibilité de parfaire son talent d'escrime. Ainsi, comme si la hache n'était plus que le spectre d'une vie oubliée, il décida de se consacrer au maniement de cette arme. L'épée était dorénavant sa seule compagnie. Il se rappela vaguement de quelques conseils que lui avait prodigué Lewis pour s'appuyer sur des bases bancales, et construit au fil des rencontres et des affrontements une technique brute, sans fioriture. Bientôt il se fit connaître et déjà le continent entier entendit parler du faucon écarlate. Ce surnom le fit sourire, lui rappela ses années sous le signe d'un autre rapace. Il vendait ses services partout dans le continent, que ce soit au royaume ou au sein de l'alliance.
Il passa néanmoins que peu de temps dans ce premier, l'avancée de l'empire étant importante, il ne souhaitait pas recroiser un passé qui le ramènerait à quelques mélancoliques souvenirs. Il passa plus de temps sur les côtes de l'alliance, à la frontière avec Almyra. Le climat lui rappela un peu Enbarr et il y faisait bon vivre. C'est là bas qu'il apprit que le cesser le feu avait été proclamé. Comme un coup de poing violent que lui aurait mis Caspar dans l'estomac, il prit conscience de ce que cela impliquait. Les serpents des ténèbres avaient opté pour un chemin différent de ce lui d'Edelgard. Désormais, il allait pouvoir les traquer sans porter préjudice à l'impératrice... Un retour à la maison était-il envisageable ?