HISTOIRE
(956 - 1121) LA PREMIERE MIGRATION
Par delà les flots, là même où se rencontrent l'azur du ciel et le turquoise de la mer, se dressaient quelques îles fières aux allures enchanteresses. Héritage de sable, où derrière la pierre se cachait plus de pierre, et où l'écume ne faisait naître que plus d'écume ; ces trois sœurs naufragées semblaient bercées par la douceur du soleil insulaire et par le murmure du chant des vagues. Odinn, Vili et Vé, méconnues et si lointaines, abritaient pourtant mon foyer, ce tendre berceau qui m'a vu naître en 956 sous les mélodies dédiées aux anciens.
Il était difficile de s'imaginer partir de cet endroit lorsque tout vous semblait idyllique depuis votre tendre enfance, que votre cadre familial était complet, et que votre environnement était si pur. Pourtant, quelque part, l'envie de changement finit par se faire sentir. Notamment lorsque l'on ne connaît rien d'autre du monde que des émotions monochromes biaisées par une éducation stricte... Voir même, pour ainsi dire, raciste. On avait de cesse de m'enseigner que la méfiance était de mise absolue envers tout autre Etre que nous autres, Laguzs Dragons.
"Il ne sert à rien de partir, les hommes sont mauvais."
"Il faut se méfier des autres Laguzs de Morfis, et éviter de s'y mêler."
"Le monde n'est rien d'autre qu'une terre ravagée par le sang et la guerre, ce seul lieu est notre sanctuaire." Encore et encore ces dires redondants, pendant près de 15 ans de ma vie. Quand bien même ces années m'avaient parues être plus courtes et identiques les unes que les autres, elles continuaient de filer dans une presque éternelle redondance. Il allait de soit que plus le temps s'égrainait, moins je me sentais de vivre ici jusqu'à la toute fin, et encore moins seule. L'unique voyage qui pouvait m'extirper de la monotonie de ces lieux illusoires était le seul déplacement hors de l'île autorisé aux jeunes dragons tels que moi : la migration de la saison des amours.
À l'Aube d'un printemps nouveau, sous une pluie virevoltante de pétales aux teintes vives, les grands solitaires déployaient leurs ailes s'envolaient avec fougue vers d'autres horizons. Ils allaient, disait-on, jusqu'aux confins du monde à la recherche de leur moitié perdue dont ils ont été séparés après leur précédente vie. De nombreuses fois, j'avais rêvé de ce moment de liberté ; ne ratant aucun départ de célibataires pendant sept années. Je nourrissais rêveries et fantasmes à chaque envol, jusqu'à ce qu'arrive enfin l'année où ce fût mon tour. Lorsque ce printemps de l'an 977 se montra enfin, comme tous mes congénères avant moi, et ceux à venir, je dépliai mes larges ailes et m'envolai au gré du vent et de ses envies...
Pendant quelques mois, je m'attelai à la tâche première de ma migration, celle de l'amour ; mais la recherche s'étant faite infructueuse, je finis par errer telle une âme éplorée. Et ce, jusque sur les terres de Fodlan. Je n'avais eu de cesse d'envoyer des lettres à mes parents, restés en Vili. Les humains et autres Laguz sur mon chemin s'étant révélés être, comme prédit par les miens, mauvais et agressifs. Beaucoup d'entre eux étaient épris de violence et d'égoïsme, et je déchantais chaque fois plus dès lors que j'en rencontrai un autre de cette attitude ; ne laissant dans mon sillage que déception et mépris.
Les quelques mois d'errance s'étaient transformés en deux années ; et alors que je perdais espoir de toute rencontre bienveillante, en 979, je découvris une communauté pieuse d'humains, à Garreg Mach, dont l'idéal de paix et l'absence de xénophobie avaient su me séduire. Je me pris de sympathie pour eux, et m'installai alors parmi les leurs. Bien que je ne partageais pas leur croyance, cest par reconnaissance que j'entrepris de participer à la construction de l'Académie des officiers, qui avait été lancée avant mon arrivée. Il s'agissait d'une académie visant à entraîner à la protection, bâtie au sein même du Monastère. Les nouveaux lieux ne virent pleinement le jour qu'un an plus tard, en 980. L'engouement et l'allégresse dus à cette épreuve enfin terminée étaient, pour tous, à leur comble...
Les visites commencèrent alors à se multiplier, et la jeunesse s'installa à l'Académie, formant ses étudiants à la défense de Fodlan en vue des prochaines invasions. Tous, sous cet étendard commun, avaient réussi à mettre leurs différents et leur haine de côté au profit d'un objectif commun.
Pendant 141 ans, je marchais ainsi aux côtés de l'Eglise de Seiros et de ses fidèles, servant à Garreg Mach. Je m'occupais principalement de la forge où je pouvais jouir d'une ranquillité relative. Mon quotidien était devenu routinier mais calme, et pourtant autour de moi, les générations se succédaient à l'Académie comme au Monastère. Si bien que je ne comptais bientôt plus le nombre d'armes fabriquées ou réparées pour les chevaliers, les élèves ou les gardes de ces lieux.
(1122 - 1164) LES ÂMES SOEURS
Brisant les rouages de la routine, qui cliquetaient incessamment et rouillaient lentement, un jeune homme arriva dans ma vie. C'était un étudiant de l'Académie. Là où ses venues étaient dans un premier temps éparses, elles se firent bientôt de plus en plus nombreuses : il commençait à se montrer régulièrement à la Serre de Garreg Mach, où j'occupais l'essentiel de mes soirées après avoir battu le fer toute la journée.
Sa passion pour la botanique n'avait d'égale que sa profondeur d'âme et sa simplicité de vie. L'alchimie avec cet humain fût telle que bientôt, lorsque la teinte argentée de ses cheveux passait le pas de la porte, je ne pouvais m'empêcher de me retourner vers lui et de lui sourire. Nos conversations devenaient chaque fois plus animées, plus palpitantes, et plus intéressantes. J'avais appris à aimer les humains autrement que dans leur seule acceptation, mais bien dans un véritable lien relationnel. En soit même, j'avais appris à enfin aimer, tout simplement. J'avais trouvé en cet homme ce pourquoi j'avais quitté mon foyer et mes parents tant d'années auparavant.
C'est d'ailleurs lui qui me fit découvrir à cette époque, que là où chez les Laguz nous avions une notion de "moitiés" concernant l'amour, les Hommes eux avaient le concept "d'âmes sœurs". Curieux, non? Que quelque part même dans nos différences, nous nous trouvions quelque chose en commun. Même si, pour être tout à fait honnête, j'ai encore aujourd'hui du mal à saisir pourquoi des âmes amantes seraient "sœurs" ; ce n'est pas un peu malsain comme lien familial ? Ou alors est-ce simplement le choc des cultures qui fait mon incompréhension...
Les découvertes et les échanges ne s'arrêtèrent pas à ça bien entendu. Bientôt le germe timide de notre relation fleurit en passion grandissante. Durant l'année 1128, six ans après notre rencontre, le fruit le notre amour bourgeonna : notre petit Hauni, laguz lui aussi, vit le jour. Béni par la Déesse de mon aimé, et empreint d'un nom signifiant "Paix du Ciel" dans ma langue natale, on lui remit une médaille de naissance qui jamais plus ne quitta le petit garçon. J'annonçai, heureuse, sa naissance à mes géniteurs, dans une lettre parlant du petit dragon. Bien entendu, je ne leur ai jamais avoué que le père était humain... L'avantage de n'avoir gardé qu'une relation épistolaire avec eux, était sans doute que ce ne fût pas très difficile de leur cacher. Tout ce qui comptait, après tout, c'était que notre fils aux cheveux d'argent avait pour lui des parents aimants et un cadre idéal pour grandir et s'épanouir.
Enfin, c'est ce que nous pensions.
En 1130, Hauni avait commencé à grandir lentement, au rythme de nos congénères dragons pour dire vrai. Un jour qui semblait pourtant si banal, alors qu'il se trouvait juste là, non loin de moi, l'enfant disparût quand à peine mon regard fût détourné. Il s'était volatilisé sans laisser la moindre trace, exceptée celle du désarroi salé et cristallin qui avait rongé mon visage de mère éplorée, jusqu'à en gercer mes joues. Pendant des heures, des jours, des mois, nous avons cherché en vain Hauni. La nouvelle fût difficile à encaisser, et plus encore à annoncer, par courrier, à mes parents : ils ne rencontreraient jamais leur petit-fils alors même qu'ils n'avaient même pas encore pu voir. Il fallait avouer qu'à l'époque, les brigands se faisaient bien plus rares que de nos jours aux alentours de Garreg Mach, et nous étions loin d'imaginer qu'ils agiraient de la sorte ici. Pourtant, c'était bien au sein de ce Monastère à atmosphère si sereine d'ordinaire qu'ils avaient eu tôt fait de kidnapper notre petit laguz. Il faut croire que le cœur de certains ne bat que pour quelques écus... Quitte à revendre un enfant arraché à ses parents à quelques braconniers, et à briser coeurs et vies.
La blessure sentimentale de la disparition de notre aînée s'étant faite longtemps trop vive, Aro, notre second fils, naquit presque 10 ans après, en 1140. Sans abandonner l'idée de revoir Hauni un jour, nous avions décidé de l'élever comme un enfant unique, afin qu'il ne se questionne ou ne s'attriste pas vainement de l'absence de son frère. Lui aussi béni par la Déesse de mon aimé, il était empreint d'un nom signifiant "L'Homme Vaillant" dans ma langue natale, qu'il portait à merveille au vu de son courage et de son impulsivité. Il avait, quant à lui, les cheveux de son grand-père d'un ébène profond ; en parfait contraste avec son frère disparu. On lui confia par ailleurs la même médaille de naissance que son aîné, dans l'espoir secret qu'un jour, les deux jeunes garçons puissent se retrouver malgré tout, telles des "âmes sœurs".
(1165 - 1184) LA GRANDE PESTE
1165 ; cette année là, l'épidémie de la Grande Peste frappa Fodlan, et tous ses habitants. Mon aimé et moi-même en fûmes victimes, laissant Aro seul pour s'occuper de ses deux parents malades. Notre cadet avait bien grandit, et, du haut de ses 25 ans, il atteignait presque sa taille adulte - bien que ses cornes, sans doute du fait de son métissage, semblaient en retard sur leur croissance. Notre enfant avait un moral d'acier à toute épreuve : il sût se montrer à la hauteur face à cette épreuve. Il était là sans la moindre hésitation, et sans le moindre répit, à nos côtés, a notre chevet.
Hélas, la maladie avait finit par emporter ma vue, ainsi que la vie de ma moitié.
Bien que je pus guérir physiquement, à l'exception de ma cécité, me remettre de cette seconde perte incommensurable était une tache bien plus ardue. La perte de ma moitié, à laquelle mon fils avait su faire face alors même qu'il était son père, m'avait plongée quant à moi dans une dépression qui me rongeait les entrailles telle une bête féroce. Ma sombre vision de la vie et sa mélancholie lancinante nous poussèrent à quitter Garreg Mach et ses terres sacrés, causes de mon chagrin. Un auto-exil forcé, mais signe de renouveau, que Aro ne broncha pas à subir pour me suivre et continuer de me soutenir. En plus d'être mon dernier pilier sentimental, mon fils s'efforçait de m'aider et de me guider de son mieux possible ; et dorénavant, c'était aussi lui qui écrirait toutes mes missives.
Après quelques années de voyage épuisant, nous avions fini par nous installer à Enbarr, capitale de l'Empire d'Adrestia. Pour tout dire, là-bas, nous ne fûmes pas très bien reçus en raison de notre nature ; pourtant, nous avions su nous rendre utiles : nous avions commencé à faire émerger notre propre forge en ville. Mes compétences acquises durant plus de 180 ans à frapper le métal ardent faisaient bon ménage avec les yeux de mon fils et ses mains adroites. Notre établissement fût grandement sollicité lorsque la Guerre éclata contre Dagda et Brigid ; conflit durant lequel Dagda s'associa à Brigid pour envahir l'Empire, atteignant les territoires de Nuvelle et Ochs. Ils avaient causé des dégâts considérables, avant d'être finalement chassés par les armes. Et nous, mère et fils, fournissions en partie l'artillerie nécessaire à l'armée pour marcher sur ces rebelles.
Les adrestiens étaient méfiants, mais savaient se montrer reconnaissants. Et dès lors que cet exploit historique auquel nous avions participé fût proclamé ; nous fûmes mieux considérés, les forçant à se montrer plus tolérants à notre égard.
Mon fils et moi, ainsi intégrés, avons perpétué notre commerce jusqu'à aujourd'hui, et alors que les tensions de 1181 nous ont laissé croire à une nouvelle envolée de batailles sollicitant notre forge en une nouvelle apogée, les récents évènements de cette année semblent avoir laissé tout et tout le monde en suspend.
CARACTERE
Calme - juste - avenante - réfléchie - maternelle - loyale
peu loquace - Méfiante - anthropophobe - désillusionnée - pessimiste
Lors de mon départ de Vili, mon île natale, je n'étais que naïveté et douceur ; cependant le temps et les coups de revers du Destin ont su avoir raison de mon mental et ont impacté mon caractère. Car autrefois, si mes émotions avaient été une fleur, il aurait s'agit d'une Iris colorée et porteuse d'espoir ; mais aujourd'hui, je ne serais faite que de Dahlias noires monochromes.
Je me sais pourtant avenante et avisée. Je connais ma loyauté plus grande que celle d'un chien et ma sérénité égalant celle du ciel nocturne ; et pourtant, ces traits ne prennent que trop peu souvent le dessus sur tout de négatif qui m'oppresse, il sont comme effacés. Noyés. Les années et les jours sombres ont marqué au fer rouge mon coeur de cette mélancholie qui chaque jour me guette, comme un prédateur surveillant avec avidité sa proie. C'est pour ne pas y succomber, et pour enfouir toutes mes hantises et mes faiblesses que je n'arbore plus qu'un masque froid et grisé. Il n'y a finalement en présence de personne de confiance que je daigne l'ôter.
La méfiance et l'anthropophobie ont également fini par s'installer, lentement, limitant mes interactions sociales et rongeant mon assurance d'antan. Tout mot n'est plus que râles, colère et grognements. Tout est bon pour repousser autrui, ou ecourter les conversations. Alors que pourtant, à l'intérieur de moi, c'est un peu un ouragan de sentiments et de couleurs ; une toile peinte avec rage, allégresse, douleur. De multiples envies qui ne demandent qu'à ressurgir et renaître se bousculent ; et je me sens obligée de les réprimer dans l'ombre. Tel un navire pris dans une tempête déchaînée, le manque confiance et de détermination m'empêche d'avancer. Ils m'empêchent de passer outre mes démons et les obstacles, et de pouvoir à nouveau effleurer cet épanouissement auquel j'avais jadis goûté.
Sans compter l'aide de mon fils, sans sa main pour me rattraper et ses bras pour m'enlacer, je ne serais pas allée très loin dans le courant de la vie, sans sombrer pleinement dans les océans du désespoir.
Souvent la nuit, éreintée et rongée à sang, je me noie dans mes pensées et mes regrets. Je tourne et me retourne dans mon lit, cherchant à trouver le soleil dans le ciel sombre, attendant de pouvoir fuir ma vie dans la chaleur réconfortante du sommeil. Pour voir la vie en rose faut savoir passer par ses épines, mais dès que je m'y blesse les mains je n'ai plus la force de me les panser ; et j'attends alors, comme une âme peinée, de pouvoir de nouveau vivre par moi-même.