Le regard du Céruléen était aussi glacial que ses contrées d’origine. Il se posait sévèrement sur les soldats de fortune qu’il avait la charge d’entraîner, seule ligne de défense contre les pilleurs menaçant régulièrement le village. Le froid, la faim, la terreur… ces fléaux étaient familiers aux habitants du village des Saints qui n’avaient pas été épargnés par la Déesse. Et pourtant, ces malheurs ne suffisaient pas à faire de ces simples gens des soldats. Si certains avaient une expérience du combat, elle était médiocre à ses yeux.

Il en fallait plus que le froid, la faim et quelques paysans improvisés en brigand pour forger un soldat. Le Céruléen l’avait appris à ses dépens.

Il poussa un soupir dont le son resta prisonnier de l’armure qu’il ne quittait jamais. Rien n’allait. La posture était fragile, l’arme était tremblante. Somme toute, le maintien aurait pu être passable si le chevalier n’avait pas été si pointilleux sur les détails. La moindre erreur pouvait être fatale, hors du terrain d’entrainement et il le savait mieux que quiconque. Comment prévoir les fléaux qui pourraient toucher de nouveau le village ? Et quelle meilleure préparation que se parer à toute éventualité ?  

Fort heureusement, il n’était pas seul face à l’ampleur de la tâche. Son air se radoucit légèrement quand son regard s’attarda sur Lily-Anne, la régente du village. Le Céruléen avait une grande estime pour cette femme qui comprenait l’importance des secrets, des non-dits et de l’anonymat. Il n’était pas idiot, il savait pertinemment que seule une personne protégeant ses propres secrets avec hargne savait faire preuve d’autant de discrétion, mais ça lui était égal. Il n’éprouvait pas une once de curiosité envers l’histoire de la jeune femme. Elle était Lily-Anne Mortais, régente du village des Saints. Il était Le Céruléen, protecteur du village des Saints. Au diable les vérités confuses et le passé inhumé.

Si elle était une guerrière de talent, les compétences de deux individus à eux seuls n’étaient pas suffisantes pour protéger l’intégralité du hameau. Il leur faudrait plus de soldats, mais on ne transforme pas des villageois en chevalier par magie. Il faut du temps, de l’entraînement, de la patience… une patience qui lui fait cruellement défaut. Il s’approche d’un des hommes maniant son épée comme s’il eut tenté de se tuer en lieu et place de l’ennemi. Ou du moins, aux yeux bien trop précis du Céruléen. En le voyant s’approcher, le villageois interrompit son mouvement. Sans un mot, il fit glisser sa main sur le bras de l’élève et le replaça de quelques millimètres afin qu’il gagne en stabilité. Après cela, il reprit sa place aux côtés de Lily-Anne d’un pas droit. « Ça n’ira pas. » déclara-t-il comme une évidence tout en économisant ses mots. Après tout, c’était indéniable. Les soldats en devenir ne comprenaient pas la valeur d’un combat reposant sur la technique aussi bien que sur l’instinct de survie. Le Céruléen, quant à lui, ne comprenait que trop.

Il se tourna vers Lily-Anne en attendant un ordre. Continuer dans cette lancée ? Changer de tactique ? Il était à ses ordres quant il s’agissait de protéger le village et l’entraînement de recrues faisait partie de ses domaines d’attribution.

@Lily-Anne Mortais

Le Céruléen acquiesça d'un signe franc de la tête. En effet, sans motivation, les villageois improvisés en soldats n'arriveraient à rien. Ils se sentaient plus ou moins en sécurité, protégés par Lily-Anne et le Céruléen. Pourquoi apprendre à subsister à ses propres besoins lorsque d'autres peuvent y pourvoir à leur place ? Ces gens-là avaient grandi dans un village, ils étaient agités d'un profond sens de la communauté et des répartitions des tâches. Comment, alors, leur faire comprendre qu'ils devaient apprendre à se battre quand leur fonction ne se résumait avant qu'à fournir le village en vivres et services ?

Et pourtant, il faudrait trouver un chemin pour les aider à y parvenir. Deux soldats, aussi talentueux soient-ils, contre le reste du monde, ce n'est pas suffisamment. Et qu'adviendrait-il si les valeureux protecteurs tombaient au combat ? Les habitants seraient démunis, armés de fourches et d'épée qu'ils n'avaient jamais manié pour tuer.

Lorsque la régente souleva la question du moyen de faire parvenir les villageois à la réalisation qu'ils devaient apprendre à se battre, le Céruléen eut une idée. Il n'était pas sûr que sa supérieure approuve, néanmoins. Mais mieux vaut demander pardon que demander la permission, comme le dit l'expression. Après quelques secondes d'hésitation, il déposa la main sur le pommeau de son épée, prêt à la dégainer et à sauter à la gorge du premier villageois venu. Il désirait appuyer ses propos d'une démonstration réaliste. Il désirait prouver à ses villageois qu'ils ne tiendraient pas une seconde, seuls, face à des brigands qui voulaient leurs morts pour piller leurs biens en toute impunité. Il voulait défaire tous les villageois, un à un, en l'espace de quelques secondes. Mais il fut interrompu par l'idée - sans doute meilleure - de Lily-Anne.

Un duel ? L'idée était plus douce. Mais après tout, il pourrait toujours appliquer son plan si celui de la régente ne fonctionnait pas. De plus, cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas confronté à un adversaire qu'il respectait. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas battu pour sa vie. D'un signe de tête, il accepta la proposition de Lily-Anne et dégaina son épée de combat et s'éloigna de quelques pas, laissant à Lily-Anne le soin d'annoncer le combat si elle le désirait. Il soupesa, par habitude plus qu'autre chose, son épée qu'il connaissait si bien et se mit en position. « En garde. » articula-t-il abruptement.

Tandis qu'il se préparait au duel à venir, la nostalgie envahit l'homme en armure. Il la balaya en détournant le regard, cherchant de son mieux à oublier un passé trop douloureux. Il ne devait plus y penser. La seule qui importait désormais était la protection du village et de ses habitants. Et si celle-ci passait par la démonstration d'un combat réaliste à ses élèves, il se défendrait avec toute la hargne qui habitait son corps.

D'un signe de tête, il indiqua à Lily-Anne qu'il était prêt.

Le combat pouvait commencer.

Lorsqu'il estima que son adversaire était prête, Le Céruléen lui adressa un bref signe de tête pour lui indiquer le début du combat. Il parcourut alors les quelques mètres qui séparaient les deux guerriers et se prépara à croiser le fer avec la duelliste. Pas une once d'hésitation, pas une once de doute dans sa démarche ou dans ses gestes. Voilà l'exemple qu'il convient de montrer aux étudiants, voilà le niveau qu'ils se devaient d'atteindre pour faire honneur à leur village.

Céruléen en E3.

Le choc l’avait fait reculer de quelques pas. Le Céruléen fut assez surpris de constater que Lily-Anne Mortais ne profitait pas de l’occasion qu’il lui offrait pour contre attaquer et potentiellement mettre fin au combat, pour le temps de récupération qu’il s’accordait. Il attendit un bref instant pour lui en laisser l’opportunité (après tout, voir des erreurs pourrait également être profitable aux élèves qu’ils tentaient d’entraîner). Il brandit de nouveau sa lame devant lui, cherchant dans le regard de son adversaire ce qu’elle lui réservait pour la suite. Enfin, il se décida à la prendre de vitesse. En un ou deux pas, il regagna son niveau et leva sa lame pour l’abattre avec force sur les pièces d’armures de Lily-Anne, dans le but de la sonner sans la blesser. L’attaque eut l’effet escompté. La régente était vaincue. Cependant, la victoire avait un goût amer pour le Céruléen. Il regrettait qu’elle ne l’eut pas attaqué et qu’il eut mené tous les assauts. L’issue aurait peut-être été différente s’il ne l’avait pas laissée faire ainsi.

Le combat fini, le chevalier rengaina son arme avant de tendre son bras à Lily-Anne pour une poignée de main honorable et chaleureuse, comme tout duel amical devait se conclure. « Vous êtes un adversaire remarquable » articula-t-il derrière son heaume. A dire vrai, il n’en avait jamais douté. La femme avait s’imposer comme régente du village par sa force et son aura rassurante. Elle savait imposer l’ordre d’une main de fer tout en restant conciliante et compréhensive. Un équilibre parfait, somme toute. Un équilibre qui permettait au Céruléen d’évoluer en ces lieux sans question. La situation lui était donc hautement profitable. Il conclut la poignée de main d’un signe de tête avant de s’écarter pour observer les élèves admiratifs, applaudissant. Les vivats le mettaient mal à l’aise, il n’estimait pas les mériter. Il tourna la tête vers son adversaire, espérant qu’elle les fasse cesser au plus vite. Les entraînés n’avaient aucune conscience de celui qu’ils applaudissaient – s’ils l’avaient su, auraient-ils réagi autrement à sa victoire ? Sans aucun doute.