taquine ; franche ; naturelle ; discrète ; calme ; curieuse ; méfiante ; solitaire ; se veut réfléchie, bien qu'elle ait encore beaucoup à apprendre ; s'estime égoïste.

Ironiquement, Aristide est à l'image de sa couleur dominante : discrète.
Elle aime observer, entendre, retenir les informations. Ne pas faire de bruit, ne pas se faire remarquer. Ce n'est pas si difficile, parce qu'elle semble inoffensive en apparence. Autrefois, cette discrétion lui permettait de dérober les bourses et les biens des personnes les plus écervelés du village ; désormais, elle lui permet de s'informer sur une situation sans que les individus autour ne la contraignent nécessairement à dévoiler son identité. Elle sait, d'expérience, que les personnes en position de force ne sont pas les plus bavardes mais bien celles qui savent tenir leur langue le plus longtemps. La curiosité n'aidant pas, Aristide aime poser des questions et se renseigner sur les choses constituant son entourage et son environnement. A contrario, elle ne fait guère de bruit, son attitude calme s'accommodant parfaitement avec une eau placide et transparente à laquelle on ne ferait pas attention. Elle prend, mais ne donne pas forcément. Elle réclame, mais si elle peut ne pas rendre, elle ne le fera pas. D'aucuns pourraient penser qu'elle est égoïste, opportuniste, mais Aristide leur répondrait que c'est l'instinct de survie qui dicte ses actions et, pour être honnête, il y a de quoi : ses derniers souvenirs sont constitués d'orphelins qui se battent pour un bout de pain et d'un monde difficile dans lequel il faut essayer de tirer dans les pattes des plus faibles pour espérer survivre. Le monde n'est pas noir ou blanc dirait-elle, et le camp qu'elle a dû choisir, par conséquent, est celui que la vie lui a imposé. Sans être pessimiste, la jeune femme pense qu'on ne peut pas sauver tout le monde. Certains doivent être volés pour permettre à d'autres de vivre, et certaines choses doivent disparaître pour que de meilleures idées puissent les remplacer.

C'est aussi pour cette raison que, très souvent, Aristide agit avec méfiance. Elle ne fait pas confiance facilement. Si ses propres intentions ne sont pas totalement dénuées d'intérêt, elle sait qu'elle n'est pas la seule à avoir cette philosophie de vie et de ce fait elle jauge, observe l'individu qui se présente à elle avant de se prononcer. Son jugement peut être quelque peu biaisé par l'apparence de la personne – elle est jeune et humaine, après tout -, mais son instinct lui soufflera toujours qu'un individu méconnu est potentiellement une menace pour elle. Pour sa personne, son corps ou ses biens. La demoiselle se tourne donc naturellement vers la solitude, ne s'abandonnant à l'esprit de groupe que lorsque cela est nécessaire. (Elle n'a pas oublié ce groupe de mercenaires qui l'a accueilli quand elle était plus jeune, et grâce à lequel elle a su apprendre à faire un peu plus confiance aux autres. Elle se sait capable de servir un peu les intérêts de toute personne ayant en sa possession les grâces de son cœur, aussi ne les accorde-t-elle pas à n'importe qui.)

Aussi surprenant que cela puisse paraître en raison de son attitude effacée, Aristide a plutôt tendance à embêter gentiment son entourage. Elle est taquine, tout en sourire et les pupilles pétillantes lorsque la situation l'amuse. La logique de certaines personnes lui échappe, alors elle aime bien piquer de temps à autre. Elle hausse le sourcil, posant une question à l'apparence innocente alors qu'elle connaît pourtant très bien la réponse. Parfois, cela suffit à communiquer aux autres la bêtise qu'elle décèle chez une cible. Elle a conscience que certaines personnes peuvent très mal réagir à ses réponses alors elle jauge, agit principalement ainsi avec les personnes qu'elle considère comme ses proches parce qu'elle sait qu'ils ne le prendront pas mal. Un autre reproche qu'on pourrait lui faire est sa franchise. Si on lui demande son avis – et si elle est certaine que cet avis ne la mettra pas en danger – elle le donnera sans ciller, peu importe si cela est douloureux. Elle le donne naturellement à Allsen par-exemple, mais ce n'est pas forcément le cas avec les autres qu'elle considère pour l'instant comme des inconnus, sinon des menaces.





Le jour où Aristide a ouvert les yeux pour la première fois, ce fut le jour le plus terrifiant de son existence.
Son corps maudissait alors le froid. La neige parsemait sa peau, sa chevelure, ainsi que les quelques habits qu'elle portait ce jour-là ; la chérubine, dont les yeux bleus gris s'ouvraient avec confusion sur le monde qui l'entourait, semblait seule au monde, car elle ne resplendissait ni dans les pupilles rayonnantes d'un parent, ni dans les bras chaleureux d'un tuteur. Seule sa silhouette presque immaculée se dressait au milieu des pins enneigés d'une forêt, qu'elle ignorait à cet instant appartenir au Comté de Galatea.

Alors que les circonstances de son réveil auraient dû l'inquiéter, le premier sentiment que la jeune fille ressentit fut celui de l'abandon. Elle n'aurait pas su exprimer la raison pour laquelle cette sensation semblait aussi présente dans son cœur : elle ressentait, et c'était suffisant pour sa petite âme embrumée. Peu à peu, à mesure que sa léthargie s'évaporait, les questions fusèrent, et bientôt elle se demanda ce qu'elle faisait ici, puis pourquoi elle était habillée comme cela, et puis qui elle pouvait bien être au juste.

Lorsqu'elle consulta sa mémoire, son esprit fut frappé par le néant.
Elle ne savait plus comment elle s'appelait.
Elle ne savait plus pourquoi elle s'était allongée dans la neige, par ici.
Elle ne savait plus si elle était censée attendre quelqu'un, ou non.

En somme, elle se sentait un peu comme une aberration, un petit être qui existait sans vraiment avoir été convié à l'être. Elle était perdue au milieu de nulle part, dans un lieu dont la blancheur lui rappelait la pâleur de sa peau et de ses habits quelconques. Malgré son incompréhension, son instinct lui souffla de se lever et de s'en aller d'ici. Elle obéit, sans vraiment se soucier du temps qui lui restait à vivre avant que le froid n'ait raison de son corps frêle. Elle se redressa, entama quelques pas avec un léger vertige de déshabitude, puis elle s'engagea dans le premier chemin qu'elle aperçut, espérant que quoiqu'elle finisse par y trouver, cette chose indéterminée suffirait à dissiper le sentiment de gêne qui s'immisçait présentement entre ses entrailles.
Alors que le trajet commençait à se faire un peu long, elle s'intéressa aux paysages environnants et ses pupilles claires se perdirent dans l'immensité immaculée qui s'ouvrait à elles ; la neige, les arbres vêtus d'émeraude et d'opalin, le ciel clair qui surplombait les arbres et leur tissait de jolies couronnes d'ivoire. Elle ne le savait pas encore, mais elle s'était réveillée au beau milieu de la Lune de la Harpe, alors que le printemps s'apprêtait à s'incliner sous le règne de l'été. La température de Galatea n'était de ce fait pas aussi mordant qu'elle le pensait – et elle l'apprendrait plus tard à ses dépens -, se contentant d'avancer d'un pas lourd sur la route qu'elle avait choisie, l'expression confuse et les entrailles serrées par l'effarement.

C'est alors qu'une silhouette s'est dessinée à l'horizon.

Elle s'arrêta à sa hauteur et découvrit un petit garçon. A première vue, il semblait sale malgré les jolies prunelles bleutées qu'il posait sur elle. Le noir de ses cheveux ressemblait à de la cendre, en parfaite opposition avec la cascade nivéenne qui retombait légèrement sur les épaules de la petite fille. Ne sachant comment l'interpeller, ni même ce qu'elle était censée faire exactement, elle se contenta de le dévisager comme s'il avait toujours eu la réponse à toutes ses questions. Le regard de l'enfant se teinta de pitié. Elle se sentit très embarrassée par ce constat, car elle n'avait pas la moindre envie qu'on lui rappelle le pittoresque de son existence – si elle en avait vraiment eu une, d'existence. A contre attente, ce nouveau venu lui adressa la parole, lui demandant comment elle s'appelait ; la jeune enfant, d'une petite voix enrouée, lui répondit honnêtement.

« Je ne sais pas ... »

Cette interrogation embrumée ne tarda pas à s'éclaircir grâce à son interlocuteur. Il lui donna le nom d'Aristide. Elle ne savait pas ce que cela voulait signifier, mais elle trouvait une note sage dans la prononciation de ce prénom. Le petit garçon s'appelait Allshen. Allshen Heath.

Et elle, parce qu'il avait pitié d'elle, il lui expliqua qu'elle s'appelait Aristide Heath. Elle n'avait pas vraiment demandé à ce qu'elle soit adoptée, mais que pouvait-elle faire d'autre alors qu'elle n'avait personne pour se tenir à ses côtés ? Alors qu'elle n'était même pas dans la capacité de se rappeler de son ancien nom, de ses origines ? Aristide fut patiente ; elle se dit que cet Allshen ne semblait pas si terrible, et qu'elle ne pouvait surtout pas espérer davantage du destin.


Elle accepta de la suivre. Bientôt, il lui permit de découvrir un village, celui dans lequel il avait toujours vécu. Les premiers jours de son existence furent les plus déconcertants car elle apprit qu'Allshen était un orphelin, subsistant grâce au larcin et à la docilité vis-à-vis de ceux qui voulaient bien marchander avec lui. Elle apprit à le connaître plus en profondeur, découvrit un cœur bon et fort dans sa poitrine, mais apparemment meurtri par les aléas de la vie. Ils durent dérober, négocier, pour que leurs ventres ne grondent plus leur colère alors qu'Aristide essayait d'apprendre à survivre, dans l'ombre de son bienfaiteur inespéré. Aristide se demanda plusieurs fois pourquoi elle s'était réveillée si c'était pour être sans cesse méprisée, délaissée, abandonnée à elle-même et à la mort qui la guettait incessamment. La coquetterie ? Le code de la noblesse ? La prière envers la Déesse ? Quoique le Comté de Galatea n'était pas vraiment réputé pour ses grandes richesses, Aristide s'intéressait sans grande conviction aux personnes qu'elle voyait passer, à ces gens qui ne souffraient pas de la faim, de la solitude, de la peur constante d'être attaqué. Elle voyait certains enfants rentrer chez eux et s'endormir sous la chaleur d'une couette tandis qu'elle devait se mordre la lèvre et attendre que les températures les plus sévères s'attiédissent. Son affection pour Allshen se renforçait chaque jour un peu plus. Un jour, toutefois, dans son grand désespoir, elle se permit de revenir au milieu des pins enneigés qui l'avaient vu se réveiller pour la première fois. Elle s'allongea dans la neige, sous les yeux surpris de son compagnon de route.

« Allshen, ce n'est pas que je t'aime pas, hein, mais j'aimerais bien me rendormir comme le jour de notre première rencontre. Qui sait ? Peut-être que cette fois-là, des riches me réveilleront et m'adopteront. Je n'aurais plus à voler. » lui dit-elle sur un ton blasé.
« C'est All-sen ! Y a pas h. » rétorqua-t-il.

Si cette stratégie l'eut dans un premier temps perturbé, Allshen finit par l'imiter, espérant que des riches le réveilleraient, lui aussi.

Ils revinrent penauds dans le village. Aristide avait perdu la mémoire une première fois, mais la Déesse refusait désormais de lui offrir une deuxième chance au moment où elle en avait le plus besoin. La petite fille plissa les yeux.
Du reste, elle n'en avait que faire du monde, des manières que celui-ci se construisait chaque jour afin de dissiper l'ennui qui le rongeait. Elle ne pensait qu'à manger, à se trouver un foyer où dormir durant un temps. Bien sûr, elle entendait les rumeurs, les pleurs, les tragédies qui ébranlaient chaque année le Royaume depuis la mort du Roi Lambert ; sa conscience lui soufflait également qu'elle ne trouverait jamais le repos sans avoir ravivé ses souvenirs égarés, mais la faim et la peur surplombaient son âme de leurs ombres comme de viles faucheuses, et elle finissait par se dire qu'elle se préoccuperait de tout cela lorsqu'elle ne craindrait plus sa propre perte. Elle guettait dès qu'une personne l'interpellait ou semblait avoir besoin d'un peu d'aide ; espérant, sans détour, que son acte de gentillesse serait récompensé par de la nourriture ou par un accessoire qui pourrait lui servir à quelque chose. Quelques nobles et plusieurs paysans s'y adonnèrent, ne la récompensant que par quelques pièces ou par un peu de pain, c'était peu mais la jeune fille était satisfaite et acceptait de bon cœur. Allshen s'occupait de se battre, de défendre leurs intérêts vis-à-vis des autres orphelins. La pitié n'existait plus vraiment : il fallait se préserver avant tout soi-même, et tant pis pour les autres.

Quelques années se déroulèrent de cette manière, Aristide se rapprochant doucement de l'adolescence et des changements perfides qui l'incombaient. Un jour, un noble se permit de lui quémander quelques courses en échange de quelques sous. Naturellement, le sens des affaires dans le sang, elle accepta et accomplit sa mission sans grande difficulté. Il l'attira dans sa demeure en prétextant vouloir la payer, elle intéressée plus que tout par le gain ; lui, pas plus animé par des intentions bienveillantes, la guettant comme une proie innocente. Aristide sentit ses muscles se tendre et son rythme cardiaque s'emballer en le rencontrant à nouveau, au sein d'une pièce à l'apparence si confortable et chaleureuse alors que lui détonnait de ses biens par sa laideur, tache noire dans l'immaculé, tel un rapace dont les serres ne cherchaient qu'à prendre, à détruire. A son plus grand soulagement, Allshen parut juste à temps et l'arracha aux prémices d'un cauchemar dans lequel elle aurait pu rester emprisonnée pour toujours. Une nouvelle prévoyance accompagna ses réflexions futures : plus jamais, se disait-elle, elle ne ferait confiance aussitôt aux gens qui la demandaient, surtout si celui-ci était un homme, surtout si celui-ci semblait avoir l'âge et l'expérience pour espérer appâter facilement des proies vulnérables jusque dans sa tanière. La jeune demoiselle à la chevelure de neige se renferma, et apprit par la même occasion à plisser plus souvent les yeux face aux potentielles menaces qui semblaient se dissimuler derrière certains visages fortunés.


Elle voulut apprendre à se défendre, à faire taire les mains vicieuses et les langues perfides. Cette opportunité lui vint le jour où, tout en apprenant à prononcer correctement le nom d'Allsen, celui-ci lui permit de faire la rencontre d'un groupe de mercenaires du Royaume. Il fallait admettre que les débuts furent compliqués pour elle, car elle peinait à faire confiance à des individus qui n'étaient pas son frère. Ils leur donnèrent d'abord des tâches ingrates, et elle comprit qu'une fois encore, en raison de leur pittoresque existence, on n'aurait aucun scrupule à les utiliser comme des pantins pour des missions stupides, payés trois fois rien, à espérer une indépendance qui ne viendrait jamais. Une vie encadrée par des aînés était largement plus confortable qu'une vie à devoir lutter par soi-même (surtout si l'on était jeune), certes, mais elle sentait toutefois qu'il lui manquait quelque chose, comme une raison de vivre, une ambition, une identité propre. La méfiance qu'elle ressentit à l'égard de ces mercenaires, peu à peu, au fil des mois qui s'écoulaient, s'affaiblit pourtant, et ils lui apprirent à se battre pour qu'elle n'ait plus à espérer leur aide. Aristide découvrit la difficulté du combat mais ne pouvait s'empêcher d'admirer les prouesses naissantes de son frère dans ce domaine. Elle savait qu'il aurait pu être un grand militaire dans une autre vie. Les mois continuèrent à s'aligner, et bientôt, à sa plus grande surprise, leurs aînés commencèrent à les traiter autrement, les taquinant, les invitant à se mêler à leurs tournées, leurs victoires, leurs réunions. C'est à ce moment que l'orpheline se dit que la pudeur était d'une grande futilité et que, même si elle était moins bruyante ou solide que ses congénères masculins, elle pouvait tout de même s'associer à eux, à leurs valeurs, oubliant petit à petit sa condition féminine là où des femmes nobles auraient dû garder leur élégance et leur constance en toutes circonstances. Cette solitude qui lui rongeait l'âme se faisait moins pesante. Comment avait-elle pu passer pendant tout ce temps à côté d'un sentiment aussi fort que celui d'être entouré, intégré à un groupe ? En dépit de sa nature, elle essaya de faire l'effort de faire confiance à ce groupe d'hommes, cette tentative étant encouragée par le fait qu'aucun d'entre eux n'essayait de profiter de sa vulnérabilité pour lui faire du mal.

Il a fallu toutefois que, dans cette vie qui s'annonçait un peu moins déplaisante dans le cœur d'Aristide, la Déesse lui réserve une nouvelle surprise. Elle était curieusement moins combattive que son cher Allsen qui, un jour, en démontrant une fois de plus ses qualités militaires au reste du groupe, révéla malgré lui la possession d'une marque brillante les surprenant tous. L'adolescente ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, alors. Les regards ricochaient les uns contre les autres, les murmures s'élevaient, les dissensions électrisaient l'atmosphère à la simple entente du mot « emblème ». Les doutes commencèrent à l'assaillir. Son coeur se mit à s'agiter. On lui avait expliqué par le passé à quel point les emblèmes étaient de grande importance dans leur société. Son regard inquiet se posa sur chaque individu, les interrogeant silencieusement. Puis, la raison de ce malaise général fut abordée lorsque le groupe reprit la parole.

Oui, bien sûr, la Déesse bénissait certaines lignées humaines avec des emblèmes.
Oui, certainement, son frère n'était pas comme les autres.

Elle plissa les yeux. Certains voulaient tirer profit de son emblème. D'autres refusaient, considérant Allsen comme l'un des leurs et voulant à tout prix le garder. Pardon ? Comment osaient-ils marchander la liberté de son frère ? Elle annonça clairement que personne ne le vendrait sans son autorisation. Le chef des mercenaires considérait Allsen et par conséquent se rangea de son côté. Elle réprima un souffle de soulagement. En voilà quelques uns qui avaient encore toute leur tête.

Bien que ce conflit se fit moins entendre dans les jours qui suivirent la découverte de l'emblème d'Allsen, Aristide sentait que plus rien n'était pareil. Il y avait quelque chose, dans l'ambiance du groupe, qui l'embarrassait quelque peu. Elle n'aurait pas pu en vouloir à son frère, de toute façon ; il était l'homme qui comptait le plus dans sa vie et pour rien au monde, pas même s'il était question de la décision la plus logique à prendre, elle ne l'aurait abandonné. Elle n'eut pas à attendre bien longtemps avant que ce dernier ne lui fasse part de sa nouvelle ambition : celle de quitter la troupe de mercenaires afin de ne plus engendrer de conflits d'intérêts entre ses membres. La demoiselle nivéenne accueillit cette idée avec une petite moue contrainte. Allaient-ils devoir quitter le seul groupe qui n'avait jamais voulu d'eux, alors ? Contre toute attente, elle ne tenta pas de lutter, ni de réfléchir longuement à cette proposition qui allait les jeter une fois de plus dans la solitude. Elle hocha doucement la tête, simplement. Au fond, elle savait qu'il avait raison. S'il fallait qu'Allsen s'en aille, alors elle s'en irait aussi. Elle ne se permettrait jamais de l'abandonner alors qu'ils avaient toujours affronté les obstacles ensemble, depuis leur enfance. Sa véritable famille, c'était lui.

Il annonça la nouvelle au reste des mercenaires et, si certains ne furent pas d'accord, la plupart lui souhaitèrent un bon voyage – parmi lesquels figurait le chef. Aristide prit une profonde inspiration, jeta un dernier regard à leurs anciens compagnons de misère puis, imitant son fidèle partenaire, elle se mit en route pour de nouvelles aventures, au-delà de la contrée qu'elle avait toujours connue. (L'idée n'était pas si déplaisante, d'autant qu'une trêve de guerre venait d'être officialisée entre le Royaume, l'Empire et l'Alliance.)



Peut-être, se disait-elle, que cette nouvelle épreuve allait lui permettre de découvrir l'Aristide du futur.

Peut-être, se disait-elle, qu'avec la diversité des cultures et des visages qu'elle rencontrerait au fil de son voyage, cela lui permettrait de retrouver l'Aristide du passé, celle à qui la mémoire avait été arrachée.

Peut-être, se disait-elle, qu'un jour, elle arriverait à se sentir moins incomplète ...